Comment trouver la consolation après la mort d’un enfant ?

Après la noyade de leur petit Sixte, Éléonore et Gilles racontent le choc, la révolte, puis la lente traversée vers la paix. La Parole de Dieu ouvre une brèche d’espérance — « Moi, je suis la résurrection et la vie » — tandis que la prière, la présence des proches et des gestes de charité « n’effacent pas tout, mais apaisent ». Ils témoignent d’un chemin où la foi s’affermit, où Marie se fait proche, et où partager sa souffrance avec d’autres permet d’avancer : « Pas forcément consolé, mais énormément apaisé. » Un témoignage pour tous ceux qui cherchent comment tenir debout dans l’épreuve.

Nous avons perdu notre fils Sixte, il avait un peu plus de quatre ans. Il est mort d’une noyade, pendant l’été. Eléonore dit les choses simplement parce que le fait est simple et terrible : La mort est entrée dans notre vie, sans prévenir, avec la brutalité d’un accident. Rien n’efface ce choc : la maison, les habitudes, la présence de mon enfant dans chaque recoin. Gilles se surprend à chercher dans sa mémoire des gestes minuscules : “est-ce que je lui ai fait un bisou avant de partir ?”

Offrir sa souffrance

Eléonore est touché deux mois avant la mort de Sixte par la mort d’un autre petit garçon qu’elle ne connaissait pas : « j’avais énormément lu, cherché des choses sur la mort, cette mort m’avait révolté en fait. » J’ai donc beaucoup lu sur la souffrance offerte. J’avais pris des notes, j’avais écrit ce que je comprenais. Au moment venu, ces lectures deviennent des appuis. Je découvre alors à quel point la souffrance peut entrer dans l’ordre de l’amour. Je ne parle pas en théorie. J’éprouve dans mon cœur ce que je n’avais fait que deviner. Les mots lus prennent un poids nouveau. Ils m’aident à poser des actes minuscules, mais déterminants.

Gilles et Eléonore au sanctuaire Notre-Dame de Montligeon le 18 octobre 2025.
Gilles et Eléonore au sanctuaire Notre-Dame de Montligeon le 18 octobre 2025.

Dire « oui » et accepter ce que je ne peux pas changer

A quel point la souffrance pouvait entrer dans l’ordre de l’amour ? Ce sont des paroles de Jean-Paul II. Et ça a tout changé. Quand c’était mon tour de souffrir, je savais que ce n’était pas inutile parce que j’avais pu dire « oui ». Je dis : « Ok, Seigneur, c’est mon tour, j’accepte. » Il va falloir m’aider. Parce que moi je ne suis pas très forte. Mais je sais que tu me fais participer au mystère de la croix ». Je sais qu’à travers ces souffrances, je peux participer au salut de mes enfants, de mon mari, de ma famille, de mon petit garçon qui est monté là-haut, de du monde en fait.

Eléonore ne confond pas acceptation et résignation. « J’accepte ce que je ne peux pas changer. » Je demande de l’aide : « Je ne suis pas très forte. » Ce « oui » ne supprime pas la douleur. Il me place dans une relation. Je m’accroche à la croix. Je crois que ma souffrance, confiée, peut devenir chemin d’amour. Je le redis au moment où je sors mon fils de l’eau. Je sais exactement quand je lui ai dit.

Une nouvelle proximité avec Dieu

Je perçois une veille de Dieu sur nous. Je vois des moments incroyables. Je ne sais pas les raconter autrement que par ce mot : veille. Comme si, dans la tempête, une présence discrète veillait. « Le jour du drame, c’était l’été et il faisait hyper beau. Et je voyais dans ce ciel bleu éclatant le manteau de Marie qui veillait sur nous. Le Seigneur se fait très proche de ceux qui souffrent et Il permet, par sa croix, que ce ne soit pas inutile. Parce que c’est révoltant, ça reste révoltant et on a le droit de se révolter, mais ça peut ne pas être inutile si on l’accroche à la croix. »

Trouver des repères dans la vie des saints

Dans les jours qui suivent, Eléonore cherche des repères : « J’ouvre des livres, je lis des lettres de saints, je me tourne vers des couples qui ont souffert. Je lis Louise et Zélie Martin. Je note des phrases qui m’éclairent. Je me fabrique une petite bibliothèque de compagnons. Cette recherche m’aide. Elle m’indique qu’un après existe, même si je n’en vois pas encore les contours. » Lire ne supprime pas la douleur, mais cela desserre l’étau. Je reconnais des mots justes. Je m’appuie sur des vies qui ont traversé l’épreuve et qui ont trouvé une manière d’aimer encore.

Gilles parcourt aussi beaucoup de pages de psychologie : « Je constate que cela m’apprend peu. » En revanche, les témoignages de ceux qui ont vécu la même épreuve me consolent. Quand on perd un enfant, on se sent immensément seul. Plus rien n’existe. Parler avec d’autres parents qui connaissent cette solitude me soulage. Partager nos souffrances, les entendre nommer des réalités identiques, apaise. Indépendamment de la foi, le simple fait de verbaliser aide. Mettre des mots empêche l’enfermement.

Chercher l’aide des autres pour survivre

Gilles se tourne vers ceux qui ont traversé cette épreuve : Nous appelons des personnes endeuillées « depuis un certain temps ». J’ai besoin d’entendre une voix qui sait. J’ai besoin d’une preuve que l’on peut tenir debout après ça. Le fait de parler à quelqu’un qui l’a vécu m’apaise déjà. Ce n’est pas un apaisement total, mais c’est une respiration. « Je comprends qu’il ne faut pas m’isoler. Je combats cette tentation. Je vais vers les autres. Je cherche la charité concrète, les relations vraies. Je remarque que l’entourage aide, même quand il ne sait pas quoi dire. » Dans les groupes de père en deuil, vous vous retrouvez une vingtaine d’individus et personne ne se connaît. Tout le monde se retrouve, tout le monde raconte ce qui lui est arrivé et instantanément. Ce cœur à cœur, tout le monde est frère. Tout le monde est intimement solidaire les uns des autres. Et là, vous vous sentez porté par autre chose que des simples relations de sympathie.  Parmi les proches une autre solidarité s’organise. Ils prient, chantent, rendent service. Cette mobilisation me tient. Nous allons à la rencontre des autres. Nous y rencontrons des personnes de tous âges, y compris un vieux monsieur qui a perdu ses enfants. Nous reconnaissons, dans cette fraternité, quelque chose qui dépasse la sympathie. « Je mesure combien marcher avec d’autres, prier, écouter, allège la charge que je porte. »

Une phrase qui me bouleverse

Deux semaines après la mort de Sixte, nous appelons une maman que nous ne connaissons pas, qui a vécu la même épreuve. Elle nous dit : « Aujourd’hui, je suis pleinement heureuse. » Sa phrase me frappe de plein fouet. Elle n’efface rien, mais elle pose une promesse devant moi. Elle me dit que la vie peut revenir, autrement. Elle m’aide à ne pas m’enfermer. Elle m’autorise à pleurer sans croire que les larmes seront sans fin. Elle me donne un horizon que je n’osais pas formuler.

Aller au bout de ma peine

C’est douloureux, c’est difficile. Et ces émotions-là, il faut qu’elles sortent. Eléonore : « On ne s’est jamais interdit de pleurer et de dire que c’était difficile. Lorsque l’on traverse un moment de peine, un moment où l’émotion nous submerge, il faut aller au bout de cette émotion et ne pas la refouler.”

Aller au bout, c’est accepter d’entrer dans ce que la douleur réclame : les larmes, le silence, la fatigue, l’impuissance, les gestes qui n’avancent pas. Et pour moi, ça fait partie aussi de la consolation : être capable d’aller au bout.  Je m’interdis de censurer la peine. Je m’interdis aussi d’en faire une identité. Pleurer ce qui doit l’être devient une étape indispensable. Je comprends que cette vérité ne contredit pas la foi ; au contraire, elle l’éclaire. Je n’abrège pas. Je traverse.

Eléonore : « je laisse mes enfants me garder vivante »

Notre famille me garde dans la vie. Les enfants sont beaucoup plus dans le présent. Ils jouent, ils mangent, ils vont à l’école. Ils me demandent des gestes ordinaires. L’ordinaire sollicite ma présence. Elle m’empêche de me dissoudre. Je reste dans le mouvement des jours : préparer, accompagner, écouter. Ce rythme ne console pas par lui-même, mais il m’empêche de sombrer. Il m’oblige à me lever, à faire, à répondre à des besoins concrets. Il m’aide à respirer.

Recevoir des gestes concrets de charité

Autour de nous, beaucoup se mobilisent. Une chorale se constitue pour la messe. Des groupes prient pour notre famille. Des amis cherchent comment m’aider. Quand Gilles doit reprendre le travail, une amie prend sa journée pour rester avec moi. Ces gestes me font un bien fou. Ils ne prétendent pas expliquer. Ils se tiennent là, à portée de main. Ils déposent de la douceur dans des heures qui n’en ont plus. Ils disent, sans grands discours : nous sommes avec vous.

Ce qui marque le plus Gilles, ce sont les preuves de charité d’inconnus. « Au cœur du mal, je vois surgir la bonté. Des gestes se posent sur nos journées sans bruit : une aide, une parole, un service. Là, je retrouve le cœur de l’Évangile. Oui, il y a le mal dans le monde, mais il y a aussi la bienveillance qui surgit gratuitement. Je reçois ces gestes comme des appuis. Ils ne prétendent pas expliquer ; ils soulagent. À la mort d’un enfant, on se sent immensément seul. Parler ne rend pas l’enfant ; parler ouvre une fenêtre. »

Gilles et Eléonore au sanctuaire Notre-Dame de Montligeon le 18 octobre 2025.
Gilles et Eléonore au sanctuaire Notre-Dame de Montligeon le 18 octobre 2025.

Tenir en couple, la prière du « Je vous salue Marie »

Peu de temps après la mort de Sixte, un aumônier que connait Gilles le met en garde : « Attention Gilles, dans le cas de la mort d’un enfant, ça se termine dans énormément de cas par une dépression ou un divorce. » J’entends la justesse de ce conseil. La fatigue peut tout emporter. Ce conseil m’alerte : « attention au sur accident », on est infiniment malheureux. Il ne faut surtout pas que dans ma famille on ajoute du malheur au malheur. Cette phrase était salutaire. Avec Eléonore nous décidons alors de prier ensemble, des Je vous salue Marie régulièrement. Cette prière c’est en quelque sorte se mettre à nu, spirituellement, psychologiquement, être à deux et en fait être à deux et échanger dans la douleur.

Avec Gilles, nous décidons de rester à deux, de parler, de nous écouter, même quand les mots manquent. Nous nous disons où nous en sommes, sans nous juger. Nous ne cherchons pas à uniformiser nos rythmes. Chacun avance différemment. Certains jours, l’un s’effondre, l’autre tient ; le lendemain, l’inverse. Nous acceptons cette alternance. Nous veillons à « prendre la température » de notre couple. Cette veille réciproque nous garde. Elle n’efface pas la peine, mais elle l’apaise. Dans notre couple, j’apprends à respecter le temps différent de l’autre. J’accepte que nous ne ressentions pas les mêmes choses au même moment. J’accepte que nos manières d’exprimer la peine divergent. Je m’exerce à poser des questions simples : « Ça va ? Tu en es où ? » Je reconnais le bienfait de cette question posée et reposée. Je vois qu’elle nous a soutenus longtemps. Je remercie aussi le silence que nous savons nous donner.

J’attends la résurrection pour passer à nouveau mes doigts dans sa tignasse blonde

Je crois que nous ressuscitons avec notre corps. Je porte une attente très concrète. « Je suis très soutenu par le fait que je vais le revoir. Ce n’est pas juste un truc spirituel, d’âme à âme. « Je suis convaincu qu’un jour je repasserais ma main dans sa tignasse blonde parce qu’on ressuscite avec notre corps à la fin. » Je n’en ai pas honte. Cette image m’accompagne. Elle ne raconte pas un rêve irréel. Elle dit l’espérance d’une rencontre. Elle dit un amour qui ne disparaît pas. Elle pose, dans mon aujourd’hui, une lumière pour demain.

Choisir d’espérer

Je crois qu’un jour il me sera donné de comprendre pourquoi. Je reconnais que c’est un pari. Je ne me raconte pas une histoire. Je laisse l’espérance entrer. Ce choix me soutient. Il me donne une direction. Il me relève un peu quand le poids m’écrase. Il me permet de tenir sans réponses.

Refuser la culpabilité, avec l’aide de Marie

Après le choc, je me sens vide, les émotions coupées. La culpabilité me guette. Elle propose de remplir le vide. Je reconnais que ce n’est pas Dieu. Dieu ne veut pas que je me sente coupable. La culpabilité n’est pas un chemin. Elle m’enferme. Elle m’écrase. Je l’écarte, autant que je peux, chaque fois qu’elle revient.

Je pense à Marie qui a perdu son Fils de vue pendant trois jours. Si Marie a pu le perdre de vue, j’ai le droit, moi aussi, d’avoir connu mes limites, des circonstances qui m’ont échappé, qui se sont terminées tragiquement. Cela ne fait pas de moi une mauvaise mère. Je me le dis, je me le redis. Je laisse cette parole me libérer un peu.

Le pardon

Pour Eléonore, c’est le pardon de Gilles qui la sauve. Il ne me pointe pas du doigt. Il ne nourrit pas le reproche. Il ne s’autorise pas une accusation facile. Je respire dans ce regard. Je trouve là un appui solide. Ce pardon ferme la porte à une spirale qui m’aurait détruite. Il m’autorise à vivre en vérité, sans mensonge, sans condamnation.

Accepter les mains tendues

Je reconnais la tentation de me morfondre. Elle me rassure presque, parce qu’elle me donne l’illusion de garder un lien à mon enfant. En même temps, elle m’effraie. J’accepte de me relever. J’accepte les mains tendues. Parfois, cela me demande un effort réel, celui de chercher le contact ou simplement de répondre aux questions que l’on me pose. J’avance à petits pas, sans me comparer.

Habiter le quotidien

Je continue d’habiter la vie ordinaire : famille, amis, inconnus croisés. Je vois combien la charité concrète — écouter, aider, rendre service — devient fondamentale pour avancer. Je comprends mieux les gestes minuscules qui soutiennent. Je découvre que la consolation se tisse dans cette trame discrète. Je le constate jour après jour. Avec le recul, je peux dire que le deuil ne se résume pas à un désespoir. Le temps fait son œuvre. Cette œuvre peut conduire à beaucoup d’apaisement, et même à la joie. Ce n’est pas une joie tapageuse. C’est une paix qui rend les gestes possibles, une clarté qui s’installe doucement.

Gilles et Eléonore avec  Amélie Le Bars sanctuaire Notre-Dame de Montligeon le 18 octobre 2025.
Gilles et Eléonore avec Amélie Le Bars sanctuaire Notre-Dame de Montligeon le 18 octobre 2025.

Choisir l’espérance

Sept ans après, je crois que tout est grâce. Je le dis ainsi, simplement. Si mon témoignage peut accompagner quelqu’un sur ce chemin, ce serait déjà beaucoup. La grâce passe par des mains, des regards, des voix. Elle passe par des inconnus et des proches. Elle passe par la prière de l’Église.

Si je dois laisser un mot à ceux qui entrent dans l’épreuve, je choisis « espérance ». Acceptez les mains tendues. Laissez-vous approcher. Ne vous enfermez pas. Parlez. Pleurez. Marchez avec d’autres. Laissez le temps travailler. Ce n’est pas renoncer à votre enfant. C’est apprendre à vivre avec son absence sans étouffer l’amour.


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