Depuis la nuit des temps, l’idée de communiquer avec les morts fascine l’humanité. Qu’il s’agisse des pratiques chamaniques, des sociétés anciennes, des séances de spiritisme du XIXe siècle ou des récentes applications numériques simulant la voix des disparus, cette quête soulève des questions universelles. Peut-on véritablement établir un dialogue avec l’au-delà ? Ou s’agit-il d’un besoin psychologique de maintenir un lien face à l’inconnu ?
Comment communiquer avec les morts ? C’est la question que nous avons posée à don Paul Denizot, recteur du sanctuaire Notre-Dame de Montligeon.
Pourquoi ce besoin de parler aux défunts est-il si fort ?
Le deuil, la mort, créent une séparation violente. Nous ne pouvons plus voir ceux que nous avons aimés, nous ne pouvons plus les toucher, nous ne pouvons plus sentir leur présence.
Et pourtant, au fond de nous, nous avons tous, je crois, ce désir que la relation se poursuive. L’un des moyens pour que cette relation continue est de leur parler.
L’homme ne peut pas se résoudre à la mort d’un proche. Il ne peut pas accepter que la mort mette un terme à l’amour qui a uni des personnes qui s’aiment.
Il y a une forme de résistance intérieure face à la mort, et une manière de vouloir rejoindre encore le défunt. Lui parler est l’ultime canal de communication avec lui.
Puis-je vraiment parler à mes défunts ?
Il existe dans l’humanité une forme d’intuition fondamentale que l’on peut encore faire quelque chose pour les défunts. Toutes les civilisations ont accompli des rites et des prières pour les morts. Le culte des ancêtres, pratiqué par exemple en Afrique ou en Asie, en témoigne. Or, cette intuition est une ouverture à la Révélation.
La foi nous révèle que la relation entre ceux qui se sont endormis dans la paix du Christ et ceux qui sont encore en chemin demeure vivante, que cette relation subsiste par-delà la mort. Ce n’est plus simplement une impression, mais une conviction profonde de la foi : une vérité : il existe une communion réelle entre les vivants et les défunts.
Un dialogue est possible — non pas un dialogue physique — mais un échange d’amour qui peut continuer à circuler entre les vivants et les morts. C’est la communion des saints.
Comment communiquer avec les défunts ?
L’Église ne parle pas de « communication avec les morts », car la communication implique, en général, des signes sensibles (sons, paroles…). Elle annonce une réalité plus profonde : la communion entre les vivants et les défunts.
Ce lien d’amour, nous l’avons dit, demeure vivant puisque c’est Dieu qui en est la source et qui rend possible l’union avec ceux que j’aime et qui ont traversé la mort. C’est pourquoi l’Église parle de la communion des saints.
Et cette communion avec nos défunts peut effectivement se vivre dans la prière. La prière permet de toucher le cœur des défunts, de leur dire « merci », de leur demander « pardon ». Tout acte de charité accompli ici-bas, tout acte d’amour que je peux offrir pour eux, continue de faire grandir et de nourrir la communion qui m’unit à ceux que j’ai aimés.
Peut-on recevoir des signes d’un défunt ou est-ce une illusion ?
Beaucoup de pèlerins à Montligeon nous parlent de signes. D’autres en cherchent. C’est vrai que, dans le deuil, on espère encore quelque chose : une réponse de ceux que nous avons aimés. Des signes peuvent exister. On en trouve dans l’histoire de l’Église. Sœur Faustine, par exemple, raconte que certaines sœurs qu’elle avait connues de leur vivant lui étaient apparues en songe après leur mort pour lui demander ses prières.
On pense aussi à cet épisode célèbre de la vie de saint Jean Bosco : une nuit, il entend la voix de son ami Louis Comollo, mort quelques jours plus tôt. Une grande lumière apparaît, et il entend ces mots : « Bosco, je suis sauvé. »
Oui, des signes peuvent exister. Mais ce sont des phénomènes extraordinaires, rares. Beaucoup de saints n’en ont jamais eu. Rappelons que notre véritable signe, c’est le tombeau vide, signe de la Résurrection du Christ.
Des signes peuvent être donnés mais ils restent des petits cadeaux. Ils ne sont pas nécessaires, et il ne faut pas s’y attacher. Le plus important, c’est la communion d’amour avec les défunts.
Est-ce que les rêves peuvent être une forme de communion avec nos défunts ?
Il est vrai que certaines choses peuvent arriver dans les songes. On le constate dans la Bible, et aussi dans de nombreuses cultures : en Orient, en Afrique, au Liban, en Syrie… Les songes y tiennent une place importante. Peut-être qu’en France, nous sommes devenus un peu trop rationalistes pour l’admettre.
Le rêve reste complexe. Il faut le discerner. Il peut s’agir d’un produit de notre imagination, d’une recombinaison intérieure de souvenirs ou d’émotions.
Cela peut aussi être troublant : si l’on fait un rêve triste qui peut nous désespérer, ne nous précipitons pas pour lui donner un sens.
Cependant, il peut y avoir des signes dans un songe. Et cela demande du discernement. Quoi qu’il en soit, un rêve peut toujours devenir une occasion de prier. Si, au réveil, je me rends compte que j’ai rêvé de quelqu’un, c’est peut-être l’occasion de porter cette personne dans la prière.
Alors je peux dire, tout simplement : « Seigneur, j’ai rêvé de ma grand-mère, je te la confie. Dis-lui que je l’aime. » Je confie calmement, ce que j’ai sur le cœur.
Quand nous invoquons nos défunts, peuvent-ils nous répondre ? Et comment ?
Nous n’invoquons pas nos défunts ! Nous ne sommes pas dans un culte des morts. La nécromancie est clairement condamnée dans la Bible. Et elle est dangereuse — très dangereuse. On y reviendra après.
Les chrétiens ne parlent d’ailleurs pas des morts mais des défunts et ils font mémoire de ces défunts dans la communion avec le Seigneur. Le véritable médiateur entre eux et nous, c’est le Christ.
Et nous leur souhaitons d’être auprès de Lui. C’est par Lui que nous pouvons leur dire merci. Par Lui que nous pouvons leur demander pardon. Par Lui aussi que nous pouvons leur pardonner. C’est Lui qui établit ce pont et c’est par Lui que nous pouvons nous adresser à eux.
De sorte que la communion avec eux n’est pas repliée sur le passé mais ouverte sur une communion plus grande. C’est une relation ouverte, parce que le Seigneur est au cœur de cette relation. C’est bien plus grand ainsi !
Que pensez-vous du spiritisme, de la communion avec les esprits en passant par un médium ?
La nécromancie a été clairement condamnée dans la Bible, dans l’Ancien Testament : « Tu n’invoqueras pas les morts ». Et elle est dangereuse — pour plusieurs raisons.
D’abord, pour le portefeuille. Il y a beaucoup de charlatans, parfois très habiles, qui peuvent dire exactement ce que nous avons envie d’entendre à propos de nos défunts. Et cela peut coûter très cher.
C’est aussi dangereux sur le plan psychologique. Parce que ces pratiques empêchent de faire un vrai deuil. La mort crée une séparation douloureuse, que nous devons tous traverser. Il s’agit alors de passer de la présence à la communion — une communion qui est plus profonde, mais qui relève de la foi. Et cette communion n’efface pas la souffrance de l’absence.
Or, ces pratiques ne permettent pas ce passage. Elles figent la relation, comme si le défunt errait encore quelque part, dans les parages. Mais ce n’est pas vrai. C’est dangereux, parce que j’ai vu des personnes devenir esclaves de ces pratiques et rester accrochées à leurs défunts et au passé en s’empêchant de vivre.
Enfin — et c’est le plus grave — c’est dangereux spirituellement. Car, dans ces pratiques de spiritisme, ce ne sont jamais les défunts qui se manifestent mais des esprits et pas les bons anges. Attention au démon qui peut très bien se faire passer pour une vieille tante ou un grand-père parce qu’il les a connus. Cette pratique devient une porte ouverte à l’emprise démoniaque qui peut être destructrice.
Ne cherchons pas à communiquer avec les morts. Nous avons un mystère bien plus grand que cela, bien plus lumineux et plus beau, la communion des saints. Certes, elle n’efface pas la douleur de l’absence, mais elle nous fait entrer dans une présence plus profonde et réelle.
La destination du défunt change-t-elle notre relation avec lui ?
Oui. S’ils sont au ciel, ils intercèdent pour nous. Ils nous voient en Dieu. En le contemplant, ils nous connaissent, ils nous voient, et ils intercèdent pour nous.
Au purgatoire, les défunts nous veulent du bien. Ils attendent notre prière. Celle-ci les aide dans ce temps de purification. Et en retour, ils prient pour nous même s’ils ne savent pas exactement ce que nous vivons.
En enfer, les damnés refusent l’amour et toute marque d’amour. Ils refusent donc les prières de ceux qui les ont aimés. La communion n’est donc plus possible, non pas à cause de Dieu ou à cause de nous-mêmes, mais parce que le damné la rejette. On ne peut pas forcer quelqu’un à aimer.
Que penser, du point de vue chrétien, des technologies qui recréent la voix ou la présence des défunts ?
C’est intéressant, parce qu’on cherche toujours à garder quelque chose de nos défunts. Et, d’une certaine manière, on le fait avec les photos. Regarder une photo, c’est entretenir un lien de pensée : « Ma grand-mère », « mon ami »… On ravive une mémoire.
La difficulté, aujourd’hui, c’est qu’on va plus loin. Avec l’intelligence artificielle, certains cherchent à transférer quelque chose de la personnalité du défunt à des robots. On comprend très bien l’idée ; un petit robot avec la voix du grand-père, un autre avec celle de la grand-mère, et tous deux continuent de se chamailler sur la tombe… Cela pour recréer un climat familier.
Mais n’est-ce pas dangereux ? Ce phénomène n’est-il pas symptomatique d’un refus de la mort ? Or, celle-ci crée une séparation. Il est normal de chercher à garder des souvenirs (messages téléphoniques…) mais le processus du deuil nous aide à accepter cette séparation physique, pour entrer dans une autre relation. Ces technologies risquent d’empêcher le processus naturel du deuil. Je pense que ces technologies, en réalité, ne permettent pas d’entrer dans cette communion plus profonde, plus vraie et, au fond, plus belle.
Avez-vous une expérience personnelle de communication avec un défunt ?
Il m’est arrivé, à plusieurs reprises, de penser à un être cher que j’ai aimé et que j’ai perdu. Je pense à mon père, à un ami prêtre, à des membres de ma famille. Il est arrivé que je prenne conscience de certaines ingratitudes de ma part que je n’avais pas perçu auparavant. Et plutôt que de me désespérer, je dis simplement : « Seigneur, tu connais mon père. Dis-lui que je lui demande pardon. Et dis-lui que je l’aime. »