La fête de Noël, ou du moins tout ce qui tourne autour de cette fête, est souvent source de tensions. Dans ma famille, il y a des tensions liées à la préparation : qui fera la bûche rêvée, même si ce n’est pas le moment idéal ou si le résultat est incertain ? Des tensions autour des cadeaux, que l’on espère voir ravir leurs destinataires, sans être revendus le lendemain. Des tensions aussi lors des rencontres familiales : Noël chez la belle-famille, les leçons de morale sur l’éducation des enfants, ou encore la belle-sœur à qui tout réussit. Et parfois, des tensions dues à la solitude, à la tristesse de ne pas vivre un Noël « comme les autres ». Enfin, il y a les tensions liées à la préparation de la liturgie, pour que tout se passe parfaitement.
Mais en réalité, Noël est à l’opposé de cette tension. Il ne s’agit pas de « tendre », mais de recevoir et de se laisser toucher.
Voici trois réflexions autour de cette fête.
Aujourd’hui encore, par ce mystère de Noël, Dieu se fait proche de chacun des hommes. Pas seulement des intellectuels qui le cherchent mais vraiment de chacun de nous. Ce qui est manifesté le jour de Noël, c’est que Dieu, l’Universel, se fait proche de nous, d’une proximité inouïe et c’est d’abord ce mystère que nous recevons. Dans le plan de Dieu, l’enfant Jésus vient rejoindre chacun des bergers. De toute éternité, chacun a été voulu, chacun a été attendu par le fils de Dieu à la crèche. C’est ce que manifeste cette nuit de Noël.
L’universel concret
Un moine m’a récemment demandé une recension sur un livre d’Harari, Homo Deus. C’est intéressant de voir qu’il part de plein de présupposés, d’une expérience, d’une histoire, de l’homme… Il trouve chez l’homme plusieurs révolutions et à partir du particulier, il essaie d’atteindre l’universel. En fait il s’agit de notre désir à tous, l’esprit humain est ainsi fait : à partir des expériences particulières, nous voulons atteindre quelque chose de plus universel. C’est l’objet de la science : les découvertes des lois qui existent et qui préexistent bien avant nous. On se rend compte qu’il y a des lois universelles, des lois comme la gravité. À partir de l’expérience, les sociologues, les politologues, les philosophes, nous tous finalement, parfois avec des erreurs, des prédispositions affectives qui faussent notre jugement, nous faisons cet effort intellectuel pour essayer d’atteindre l’universel.
Or, ce qui est beau à Noël, c’est que l’universel
– l’infini, l’incréé, le transcendant, l’éternel, ce qui dépasse infiniment l’univers visible et invisible – rentre dans l’Histoire. Dieu, l’Universel, Dieu, l’Infini rentre dans le très concret de la vie. C’est fou ce plongeon de Dieu, du fils de Dieu, qui est Infini, Éternel, Parfait, Tout-Puissant, Transcendant, c’est-à-dire qu’Il échappe infiniment à l’univers, et bien Dieu plonge dans le très concret de l’histoire des hommes.
Le Seigneur nous rejoint dans l’ordinaire de nos vies
La deuxième chose qu’illustre cette nuit de Noël à la lumière de l’évangile selon Saint Luc est très ordinaire : « Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. (…) Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né… » Cette histoire de deux anonymes qui quittent Nazareth pour aller se faire recenser à Bethléem, une femme enceinte, un mari, un enfant qui naît, quoi de plus ordinaire ? Mais derrière cette banalité apparente, Dieu introduit l’extraordinaire : la manifestation des anges aux bergers qui passent de l’extraordinaire à l’ordinaire. C’est dans cet ordinaire de Noël que se vit vraiment l’extraordinaire.
Comment est-ce que moi, je suis capable de vivre l’ordinaire de ma vie ? Finalement nous attendons de la magie mais Dieu n’est pas magique, Dieu n’est pas extraordinaire, mais Dieu, par son fils, vient nous rejoindre dans tout ce qui fait l’ordinaire de nos vies. En fait l’amour est ordinaire ; c’est extraordinaire dans l’ordinaire. C’est ce que vient nous rappeler ce mystère de Noël. Et Noël nous invite à consentir à cet ordinaire avec nos épreuves, nos difficultés, nos chagrins, nos questions, nos désirs… Et si, pendant ce temps de Noël, nous faisions une petite cure d’ordinaire ? C’est dur et pourtant c’est là que le Seigneur vient nous rencontrer, dans l’amour ordinaire. Est-ce que nous sommes capables aujourd’hui de nous réjouir de cet ordinaire de l’amour ? Au lieu de passer notre temps à attendre en passant finalement à côté des belles choses de notre existence. Le Seigneur vient me rejoindre dans l’ordinaire de ma vie. C’est ce qu’il aime.
Le Seigneur est la paix
Enfin une dernière réflexion, dans cette annonce du prophète Isaïe : « conseiller merveilleux, Prince de la paix », donne nous la paix. Nous demandons souvent à Dieu de nous donner la paix, mais il faut aller plus loin. Il est bien sûr le Prince de la paix, Celui qui donne la paix et nous l’avons déjà entendu dans une prophétie de Michée, Il est la paix. Donc en accueillant le Seigneur, en accueillant l’enfant Jésus de la crèche, c’est la paix que nous accueillons. Si je cherche la paix, si je veux la paix, c’est le Seigneur que je suis invité à accueillir. En vivant dans sa proximité, au milieu des difficultés, au milieu des questions, au milieu des épreuves, je goûte à la paix parce qu’Il est la Paix. Comment je reçois cette Paix en ce jour de Noël ?
Une année de l’espérance
Pour terminer, vous le savez, nous entrons ce soir dans une année sainte puisque le Pape François a ouvert la porte du jubilé à Rome, il y a deux heures. Année sainte de l’espérance. Cette année sainte commence sous le signe de l’espérance, avec la naissance d’un enfant. Comme un enfant dans une famille, cet événement nous projette vers l’avenir. Non pas une espérance horizontale d’une vie qui continue, d’une transmission mais cet enfant, Jésus, nous emmène dans son avenir. En naissant, le fils de Dieu a ouvert une brèche dans ce monde un peu sous cloche, qui vit sur lui-même, il vient nous chercher et il nous emmène vers son avenir qui est un avenir au-delà de l’histoire, du temps et du monde.
Il est notre paix, il est notre espérance. À tous, joyeux et saint Noël, et bonne année jubilaire de l’espérance. AMEN