Artisan glacier, Meilleur Ouvrier de France et champion du monde glacier, Gérard Taurin est installé à Mortagne-au-Perche. C’est un véritable artiste capable d’imaginer les glaces les plus originales à partir des produits locaux. Il est venu en voisin à Montligeon pour confier ce qui l’anime et son parcours de vie.
Gérard Taurin, un véritable artiste ?
J’ai mis du temps à me considérer comme un artiste. Je pensais que j’étais juste quelqu’un qui apprend tous les jours. Mais l’artiste c’est celui qui a été écorché vif. On ne peut pas être sincère dans une créativité sans avoir une souffrance, quelle qu’elle soit.
Votre parcours de vie
La première fois que j’ai souffert le martyre, j’ai été victime d’un accident à l’âge de 15 ans. Une moto m’a percuté à 130 km/h alors que j’allais rapporter une carte d’identité égarée à un monsieur. Le choc a été tellement fort, j’étais tellement défiguré que ma mère, qui travaillait aux urgences de l’hôpital, ne m’a pas reconnu. Il y a deux façons de réagir : soit on y reste, soit on s’en relève. Vous prenez conscience que la fragilité est présente à chaque instant. Mais chez moi, cela a déclenché l’inverse c’est-à-dire que j’ai provoqué le destin. A l’époque, j’étais pâtissier chez Lenôtre à Paris et je suis parti faire la guerre au Liban. J’étais photographe de renseignement sur les porte-avions Foch et Clémenceau. Ainsi, j’ai été témoin direct de la souffrance des autres.
Plus tard, j’ai eu un deuxième accident, dramatique. J’étais alors chef de poste chez Lenôtre et je faisais partie des quatre finalistes du concours des Meilleurs Ouvriers de France. Nous venions d’acheter un grand appartement pour notre famille qui s’agrandissait. Mais je n’ai pas eu le temps d’y habiter car j’ai été renversé par une voiture et j’ai presque perdu mon pied et mon bras gauche. J’ai passé six mois en rééducation.
Où avez-vous puisé votre énergie ?
Cela a été ultra délicat car je ne savais pas si j’allais récupérer mon bras et mon pied. Fallait-il que je change de métier ? Je n’avais qu’une réponse : on va se battre et ce n’est pas fini, même si on a mal et que l’on souffre. Il faut avoir la force – et je ne critique pas ceux qui ne l’ont pas car ce sont des situations très difficiles – de trouver la petite toute petite lumière en vous qui vous dit que vous êtes capable de faire plus, de bouger un doigt, puis un pied, puis de rencontrer les gens. J’ai vu des gens arriver en morceaux et j’ai vu aussi des tétraplégiques qui se sont mis à remarcher. Par la force de la volonté, le muscle, la tête et puis les gars remarchent. En les voyant, vous n’avez pas mal… Quand vous voyez la souffrance ailleurs dans le monde, quand vous prenez la claque de la pauvreté dans la figure, en Éthiopie, en Inde, à Madagascar, … vous n’avez pas mal.
Il n’y a qu’une chose que l’on peut faire, c’est partager. C’est ce que j’ai choisi de faire. Meilleur Ouvrier de France, c’est un outil extraordinaire car vous partagez votre savoir et aussi votre façon d’être. Cela s’apprend au quotidien parce qu’on souffre tous les jours, psychologiquement, physiquement. J’ai appris tous les jours à me remettre en question et puis à réattaquer, à me faire des plaisirs tout simples comme par exemple conduire ma 2 CV, cueillir un bouquet de fleurs sur le bord de la route pour faire plaisir. J’essaie de m’émerveiller chaque jour de quelque chose de nouveau.
Comment envisagez-vous l’au-delà ?
Pour moi c’est l’inconnu. Avant de penser à l’au-delà, je préfère écrire la Bible dans mon parcours de tous les jours, avec mes erreurs, avec mes joies, avec mes peines et avec le bonheur qu’on distribue d’une façon ou d’une autre. Mes glaces en font partie bien sûr et cela me fait vraiment plaisir.
Votre approche de la mort ?
La mort je l’ai tellement côtoyée que je n’ai pas peur du tout. J’ai peur de souffrir parce que je sais ce que c’est que d’avoir mal de façon insupportable, jusqu’à supplier qu’on vous coupe la jambe. La souffrance psychologique j’ai été servi aussi, au même niveau. Donc la mort demain, elle ne me fait pas peur, elle ne me dérage pas. Ce que je souhaiterais c’est partir en paix tout simplement. Mais la mort de vos proches, elle me fait mal.
La recette de glace de Gérard Taurin pour évoquer Montligeon ?
Ce sera une glace à partager, croquante. Fine, douce, subtile. J’irais sur un mélange de lait d’amande, de sirop d’orgeat traditionnel, celui que l’on sait faire dans les pays que j’ai visités comme le Liban. J’y mettrais un tout petit peu de fleur d’oranger, juste pour donner ce goût dans le voyage dans le croquant, dans la découverte dans le bien-être.