Beaucoup de parents en deuil s’interrogent sur le devenir de leur petit enfant, mort sans avoir été baptisé. Qu’il s’agisse d’un enfant mort à la suite d’une fausse couche, d’un avortement ou à la naissance, s’il n’est pas baptisé, peut-il être sauvé ? Que dit l’Église sur le salut des enfants morts sans baptême ? Rencontre avec dom Jean Pateau, abbé de Notre-Dame de Fontgombault, auteur du Salut des enfants morts sans baptême (Artège, 2017).
Pourquoi vous êtes-vous penché sur ce sujet ?
Pour deux raisons. La première, c’est que cette question m’intriguait et que la réponse longtemps donnée par l’Église, celle des limbes, m’interrogeait. La deuxième raison est plus personnelle : ma belle-sœur a perdu un enfant dans ces conditions. J’ai donc pensé qu’il valait la peine de reprendre l’ensemble de la doctrine de l’Église depuis plusieurs siècles et de voir quelle est sa réponse.
Que dit l’Église sur le devenir de ces enfants morts sans baptême ?
Aujourd’hui, le catéchisme de l’Église (n°1261) est très clair : il invite à remettre ces enfants à la miséricorde de Dieu et c’est ce que fait l’Église. Souvent, cette réponse suscite une certaine déception car si l’on remet ces enfants à la miséricorde de Dieu, que fait-Il ? Le grand théologien dominicain Michel Labourdette a une phrase très éclairante et consolante : « Dans le régime de foi où nous vivons, la “certitude” la plus apaisante n’est-elle pas de se remettre entre les mains de Dieu[1] ? » Certes nous n’avons pas la certitude que ces enfants sont sauvés, puisque l’Église ne l’enseigne pas aujourd’hui, mais il y a une éminente convenance à ce qu’ils le soient. Personnellement, je le crois.
[1]. M. Labourdette, « Problèmes d’eschatologie », in Revue Thomiste, 1954, p. 664.
Que penser de la théorie des limbes ?
La théorie des limbes (du mot latin limbus qui veut dire frange, bordure) a été la réponse donnée par les théologiens à la question du sort des enfants morts sans baptême. Les limbes sont le lieu où se trouveraient ces enfants. Marqués par le péché originel, ils sont privés de la grâce de Dieu dès le sein de leur mère (Rm 5,12). Cette privation de la grâce fait qu’ils ne peuvent obtenir la béatitude sans une intervention de Dieu qui les réconcilie avec lui. Le chemin normal de cette réconciliation est le baptême, mais pour ces enfants, il n’a pas eu lieu ou il ne pouvait pas avoir lieu.
Saint Augustin, confronté à Pélage qui affirmait que l’on pouvait se sauver par nous-mêmes, a réaffirmé fortement la nécessité du sacrement de baptême. Dans ces conditions, ces enfants ne peuvent pas atteindre la béatitude et la communion avec le Seigneur. Saint Augustin a proposé un lieu à la bordure de l’enfer, où ils subiraient de petites peines sensibles. Au fil du temps, les théologiens ont fait évoluer cette théorie : les limbes se sont déplacées ! On a sorti ces enfants de l’enfer. On leur a retiré les peines sensibles. Finalement, les enfants étaient privés de la vision de Dieu, mais éprouvaient un bonheur naturel immense. Ils pensent, ils sont heureux, mais ils ne voient pas Dieu.
Comment être heureux sans voir Dieu ?
De soi la vision de Dieu n’est pas due à notre nature humaine. C’est un don gratuit de Dieu. Mais la privation de cette vision chez un être qui y est appelé, l’impossibilité aussi pour ces enfants de rencontrer leurs parents sont difficilement conciliables avec une joie parfaite. Car ces enfants sont de parfaits philosophes. Ils comprennent qu’ils ont des parents tout en ne pouvant pas les rencontrer. Autant d’interrogations qui font que la théorie des limbes n’est pas satisfaisante.
Le baptême de désir peut-il suppléer au baptême sacramentel ?
Il faut faire une distinction entre le désir du baptême et ce que les théologiens appellent le « baptême de désir. » Le « baptême de désir » réconcilie la personne avec Dieu, l’unit au Christ et à l’Église. Chez un catéchumène, même chez une personne qui souhaite entreprendre une démarche vers la réception du sacrement, Dieu rend le désir du baptême efficace. Il accorde à la personne la grâce de la réconciliation, c’est le « baptême de désir ».
Cependant, le baptême de désir ne vaut que pour soi, et les petits enfants ne peuvent pas le désirer. En revanche, le désir du baptême pour autrui invite à intercéder auprès de Dieu. Des parents qui perdent leur enfant, que ce soit à la suite d’un avortement, après avoir pris conscience de leur faute et demandé pardon, ou suite à une fausse couche sont les mieux placés pour demander au Seigneur que leur enfant soit accueilli auprès de Dieu. Le sacerdoce commun des fidèles nous rend responsables les uns des autres et nous appelle à intercéder pour le salut de tous. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et nous avons le devoir de le vouloir et de le demander.
Et dans le cas particulier d’un avortement ?
Dans les parcours médicaux aujourd’hui, il peut arriver qu’une décision d’avortement soit prise très rapidement et que la femme ne prenne conscience de la gravité de son acte que bien plus tard, par exemple à l’occasion de la naissance d’autres enfants. Elle se rend compte que ce qui s’est passé dans son sein n’était pas beau. Je suis très frappé par le mot « enceinte » qui signifie « forteresse », « lieu protégé ». Il y a une incohérence terrible : l’avortement blesse ce lieu qui par nature est protégé. Une prise de conscience et une culpabilité immense peuvent donc naître des années plus tard.
La femme peut évidemment demander pardon et recevoir le sacrement de pénitence mais l’enfant, lui, ne revient pas. Alors se pose l’écrasante question : « Quel regard a-t-il sur moi ? » Si l’enfant est au ciel, il ne peut poser qu’un regard de miséricorde sur ses parents. Il intercède pour ceux qui lui ont donné d’accéder à la béatitude. Le ciel n’est pas un lieu de rancœur ou de règlement de compte mais de paix. Le plus grand désir de l’enfant est que sa mère, son père, ses frères et sœurs soient près de lui. C’est une certitude.
Dans la vision de Dieu, l’enfant accompagne le chemin de conversion de sa mère. Jean-Paul II dans la première version d’Evangelium vitae (1995) avait d’ailleurs évoqué la question en disant aux femmes ayant subi un avortement : « Vous vous rendrez compte que rien n’est perdu et vous pourrez demander pardon à votre enfant qui vit désormais dans le Seigneur » (n°99). Depuis, le texte a été corrigé pour le rendre conforme à l’enseignement du catéchisme de l’Église catholique : « C’est à ce même Père et à sa miséricorde qu’avec espérance vous pouvez confier votre enfant. »
Les petits enfants morts avant la naissance ou avant l’âge de raison sont dans l’incapacité à poser cet acte de volonté. Est-ce un obstacle à leur salut ?
Effectivement, les petits enfants ne peuvent poser un acte de volonté. Mais saint Paul affirme : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1 Tm 2,1-4). De même, le concile Vatican II dans Gaudium et Spes n°22, enseigne que Dieu offre à tous les hommes un moyen d’être sauvés. On peut penser que la volonté universelle de salut de Dieu peut s’accomplir, non seulement quand il y a un acte de volonté de l’homme, mais aussi quand la personne ne met aucun obstacle à cette volonté divine. La personne est comme ouverte à la grâce. Alors la volonté salvifique de Dieu s’accomplit.
L’Église n’a pas affirmé le salut de ces enfants. Néanmoins, des textes de l’Écriture montrent que l’on pourrait aller dans ce sens. « Laissez venir à moi les petits enfants. Le Royaume des cieux est à eux » (Mc 10,14), ou encore : « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Quand bien même les mères oublieraient, moi, je ne t’oublierai pas » (Is 49,15).
Cette espérance dispense-t-elle donc de baptiser les petits enfants ?
Cette grande convenance que les enfants non baptisés sont sauvés ne doit pas relativiser l’importance du baptême. Et c’est vraiment un risque. Les parents doivent demander le baptême pour leur enfant. S’ils ne le font pas ils manquent gravement à leur devoir de parents chrétiens.
Que conseillez-vous aux familles qui perdent un enfant non-né et ne peuvent l’enterrer ?
Je conseillerais de donner un nom à l’enfant, car il est une personne. On peut s’adresser à lui. Dans ma famille, il y a une petite Cécile, qui est près de Dieu. On peut aussi faire dire des messes et prier. Dans la conclusion du livre, je dis qu’il serait bien qu’en parallèle de l’Œuvre de Montligeon, qui intercède pour les âmes du purgatoire, il se développe une prière pour les enfants morts sans baptême. À Montligeon dans la basilique, il y a un lieu pour ces enfants : la chapelle des tout-petits défunts. C’est important pour les mamans de sentir qu’elles sont accompagnées, notamment pour les femmes qui ont subi un avortement et qui ont besoin d’une parole de consolation.
Pourquoi prier pour les enfants morts sans baptême puisqu’ils sont vraisemblablement sauvés ?
La miséricorde de Dieu existe mais le Seigneur peut et même veut lier l’exercice de sa miséricorde à des prières. Nous aimons bien faire les choses tout seuls. Le Seigneur, lui, associe au maximum l’être humain, en particulier dans son chemin et dans celui de ses frères vers le salut. Ce sera aussi une grâce de l’Éternité de voir comment les prières des uns et des autres auront contribué à notre chemin vers l’éternité.
Prier pour un défunt peut sembler inutile s’il est déjà au paradis. Qui sait si nos prières ne l’ont pas aidé sur son chemin. Ainsi, nous avons le devoir de prier pour ces enfants, même si Dieu leur a déjà accordé sa grâce et puis il y a encore tellement d’enfants qui seront dans cette situation. C’est une participation à une œuvre de Dieu.
Cette prière nous fait également grandir en sainteté. Et à ce moment-là, le ciel est plus proche.