La mort est impitoyable. Elle nous met face au mur de l’absence d’une personne qui avait sa place dans notre vie depuis parfois de longues années. On ne peut plus l’entendre ou la prendre dans les bras. Il n’est plus possible de lui demander conseil, de lui donner de l’affection et d’en recevoir de sa part. Apparemment, tout est coupé. Est-ce si sûr ? Nous avons demandé à don Patrick Pinard-Legry, chapelain du sanctuaire, de nous expliquer les liens entre les vivants et les morts. Interview réalisée pour l’émission Sanctuaires normands sur RCF Orne-Calvados-Manche.
Aux obsèques, on lit souvent un texte qui nous dit que le défunt « est parti dans la pièce d’à côté ». Qu’en pensez-vous ?
Ce texte tente de nous rassurer en nous disant quelque chose de l’espérance, c’est-à-dire que tout n’est pas fini avec le décès. En revanche, il donne l’impression que la mort très simple, naturelle, mais finalement, pas si dramatique. Or, la mort reste un mystère. La mort est quelque chose de violent. Donc souvent, quand je prépare des obsèques avec des familles qui souhaitent inclure ce texte, cela devient un point de discussion.
La mort n’est pas « rien » et elle ne peut être réduite au fait de simplement « passer dans la pièce d’à côté ». Pour cette raison, l’Église prend soin de l’accompagner en prenant le temps de vivre les rites funéraires, de prier autour du corps, de retourner au cimetière après.
D’autre part, dire que la personne est « partie », laisse entendre qu’elle va revenir. Or la personne décédée fait plus que partir. Il y a une rupture qui n’est pas mentionnée dans ce texte.
Est-ce que les défunts nous entendent quand nous leur parlons ?
Dans l’éternité, nous entendons, sans doute mais d’une autre manière que celle terrestre ; cette question reste ouverte et les théologiens ne sont pas tous d’accord. Quoi qu’il en soit, l’Église affirme qu’il existe un échange de biens spirituels entre les vivants et les morts (Catéchisme de l’Église catholique n° 958) et elle nous encourage à prier pour nos défunts. Il ne faut pas forcément chercher à savoir ce qu’ils entendent, mais plutôt chercher à vivre un lien avec eux, par la prière.
Avec un proche défunt, tous les liens sont-ils coupés ?
Il reste un lien bien présent. C’est le lien de l’amour qui nous a unis et que nous avons fait grandir sur cette terre. Mû par la vie avec le Seigneur, cet amour est devenu une vie de charité. Et cette charité demeure après la mort. Comme nous le dit saint Paul dans l’épître aux Corinthiens 1 Co 13 : « Il y a la foi, l’espérance et la charité, mais la plus grande des trois, c’est la charité. » Cette charité ne passe pas, même après la mort. Elle nous unit avec nos défunts après la mort.
Comment quitter les liens charnels que nous avions avec notre défunt pour garder uniquement le lien de charité ?
Le temps, qui est une création de Dieu, va nous aider petit à petit à prendre cette dimension. Il ne faut pas se précipiter. Prenons le temps de vivre le deuil. Cela peut durer des mois, des années peut-être et c’est normal. Des parents par exemple qui ont perdu leur enfant ne peuvent pas avoir fait leur deuil en quelques mois. C’est impossible ! Établir une nouvelle relation avec nos défunts, c’est comme une relation entre des parents et des enfants, ou entre un époux et une épouse, c’est long ! Et cela prend du temps, voire des années.
Dans le cas d’un parent qui perd son enfant, son lien de parenté est-il modifié puisqu’il ne peut plus s’en occuper sur terre ?
Le lien de parenté est modifié parce qu’il n’y a plus cette présence physique, charnelle. Ce parent ne peut plus serrer son enfant dans ses bras, l’embrasser, l’éduquer, le faire grandir. En revanche, par ce lien de charité, il peut intercéder pour lui, et même lui demander de l’aide pour grandir lui aussi dans cette charité.
Le lien avec les défunts peut-il être toxique pour les vivants ? Par exemple, un mort peut-il nous en vouloir ou nous jeter un sort ?
Si de son vivant il a fait un pacte avec les démons pour nous tenter, c’est possible. Mais s’il est en enfer, il n’a plus aucun pouvoir sur nous. Et s’il est au purgatoire ou au ciel, il ne peut que nous vouloir du bien, parce qu’il est mû par la charité et parce qu’il est promis à la gloire de Dieu pour l’éternité.
Même si des choses n’ont pas été belles sur cette terre, si des querelles de famille ou des liens difficiles ont existé, tout peut être transformé par la charité. Et si quelqu’un nous a voulu du mal, redoublons de prière pour lui, et cela se transformera en bien. Offrons des messes pour eux, prions le chapelet : voilà les moyens donnés par l’Église pour faire grandir cette charité. Et couper court à tout ce qui aurait pu être compliqué sur terre.
À l’inverse, un défunt peut-il nous vouloir du bien ?
Si le défunt est au purgatoire ou au paradis, il peut bien évidemment vouloir du bien par ce lien de charité, de communion qui nous unit. Et comme le Catéchisme de l’Église catholique nous l’enseigne, notre prière provoque leur intercession. Donc si nous prions pour eux, même s’ils sont encore au purgatoire, ils pourront nous vouloir du bien. S’ils sont déjà au ciel, ils nous veulent déjà du bien et prient déjà pour nous. C’est le rôle de tous les saints, qui prient spontanément et directement pour nous.
Les défunts sont-ils nos anges gardiens ?
Je n’aime pas cette expression, car, si nous serons « comme des anges », nous ne serons pas pour autant des anges. Ce n’est pas la même chose. Les anges ont un rôle bien défini dans la création et dans le plan de Dieu. Donc, les saints ne sont pas nos anges gardiens, mais ce sont des personnes sur l’intercession desquelles nous pouvons compter.
D’autre part, nous avons besoin de nos anges gardiens. Dire que nos défunts remplacent nos anges gardiens voudrait dire qu’on n’a plus besoin de ces derniers. Or, nous avons besoin de nos anges gardiens, nous avons besoin de les prier, et nous avons aussi besoin de nos défunts.