Marie-Camille Carton de Wiart a été éprouvée par des deuils familiaux successifs et imprévisibles. Psychopédagogue spécialisée dans l’accompagnement de personnes en deuil en Belgique, elle livre son témoignage et explique comment surmonter l’étape du déni dans le deuil.
Pourquoi accompagner des personnes en deuil ?
J’ai mis du temps à prendre conscience de l’impact des différents deuils vécus depuis mon enfance. Mais, une fois cette étape franchie, je me suis dit que la meilleure façon de m’en sortir était peut-être de travailler cette question du deuil, et de la mettre au service de l’écoute.
Une succession de deuils familiaux
Le premier deuil que j’ai vécu est celui de mon frère quand j’avais 11-12 ans. Il avait dix ans et nous étions très proches. Or mes parents ne m’ont pas prévenue que cette maladie menait à la mort. Je n’ai donc pas pu lui dire au revoir et, avec le temps, ce manque a pesé de plus en plus. Deux de mes sœurs sont, elles aussi, décédées. L’une a décidé de mettre fin à ses jours à l’âge de quarante ans et l’autre est morte après une maladie contre laquelle elle a beaucoup lutté.
Avec notre mère, nous avons aussi dû vivre la mort de notre père. Puis mon mari a perdu deux sœurs. Et récemment, mon frère a perdu son épouse. Tout ces décès de personnes aimées se sont passés de façon particulièrement inattendus, ce qui nous a tous empêchés de leur dire « au revoir ».
Cela fait beaucoup de deuils dans une seule famille. Mais je dirais que, au fil du temps, je suis de plus en plus vivante. Est-ce dû au contact avec l’au-delà, au fait d’avoir su faire la distinction entre ceux qui sont partis et moi qui suis ici, ou bien parce que je fais de l’écoute ? Je suis aussi quelqu’un qui aime rire, bien que j’aie beaucoup pleuré – peut-être en me cachant.
Surmonter le déni dans le deuil
Y-a-t-il une méthode pour traverser le deuil ? Je ne sais pas, mais disons qu’il y a des étapes nécessaires. Le deuil de la mort de mon frère a pris cinquante ans et j’ai traversé des périodes auxquelles je ne m’attendais pas. L’important c’est l’étape de sortie du déni. Le déni, c’est quand on ne parle pas de la mort et, quand on n’en parle pas on ne peut pas avancer. Il est absolument nécessaire de pouvoir dire non, de refuser cette situation inacceptable qui est la mort de celui qu’on aime. C’est indispensable pour pouvoir ensuite se dire : « eh bien oui c’est vrai. » Personnellement, j’ai mis cinquante ans à dire ce « non » car ce n’est qu’après ce délai que j’ai enfin eu l’occasion d’en parler.
Lorsqu’une relation a été interrompue, elle doit pouvoir se poursuivre et se conclure. S’il n’est pas possible de la conclure, je conseille de se faire aider par une personne extérieure. Elle peut être spécialiste de l’écoute des personnes en deuil, pourvu qu’elle soit personnellement à l’aise avec la question de la mort. On peut aussi s’adresser à quelqu’un d’autre, pourvu qu’il ne vive pas le même deuil et qu’il ne soit pas trop pris par ses émotions. Quand je fais de l’écoute, il me reste bien sûr des émotions à l’intérieur de moi, mais je peux les situer et ne pas envahir l’autre avec. Cela me permet de tout écouter.
Le rôle de la foi dans le deuil
Quand j’étais petite fille, j’étais très croyante mais à l’adolescence, on se moquait de moi parce que j’aimais bien l’évangile. Puisque ma foi n’était pas bien reçue, je l’ai mise de côté et j’ai essayé de vivre sans elle, mais j’ai ressenti une grande tristesse. Je trouvais que quelque chose n’allait pas dans cette parole du Christ : « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés », car je constatais que cela faisait longtemps que j’étais dans le deuil et que je n’étais toujours pas consolée. En m’éloignant de la foi, je me suis aperçue que je perdais aussi une capacité de réagir naturellement dans beaucoup de circonstances de la vie. Mon petit frère est mort d’une maladie qui le faisait souffrir et je sais que sa mort l’a libéré. C’était donc mieux pour lui. Mais j’ai dû continuer ma vie toute seule, d’abord dans la foi, puis ensuite dans la nuit.
À l’âge de trente-cinq ans, je suis revenue à la foi chrétienne et, comme je ne fais jamais rien à moitié, j’ai découvert le Christ comme un ami. Cela me permet d’avoir une présence à la vie intérieure. Cette relation me rend vivante, tout comme celle que j’ai avec mes proches défunts. Je leur parle volontiers. Par exemple, lorsque ma sœur a mis fin à ses jours, je me suis fâchée contre elle. Ce n’était pas mon rôle, mais en tout cas j’ai vécu cette émotion de la colère. Et puis cela s’est apaisé et aujourd’hui je lui parle quand il y a des souvenirs communs qui remontent. Je suis en relation aussi avec mon père défunt, notamment à travers l’écriture (c’est l’objet de son deuxième ouvrage NDLR).
Écrire une lettre à un défunt
À chaque fois qu’un proche décède, je lui écris une lettre dans laquelle je rappelle les bons souvenirs vécus ensemble. Et puis comme il reste toujours des choses qu’on regrette de ne pas avoir dites, je lui demande pardon et je lui pardonne aussi. Cela me prend une heure ou deux puis, quand la lettre est terminée, je la plie en quatre et je la mets dans mon tiroir. C’est mon « tiroir des adieux ». Et ensuite, je peux repartir et reprendre mon travail d’écoute.
La prière d’une personne en deuil
Je ne sais pas ce que c’est que la prière mais un jour j’ai retenu la phrase de Charles de Foucauld : « Prier, c’est penser à Dieu en l’aimant. » Je me retrouve dans cette perspective : j’aime simplement. Quand je regarde mes petits-enfants, je trouve cela extraordinaire, ils jouent, ils s’amusent, ils rigolent. Je les aime. Avec mon mari le matin au petit-déjeuner, on n’est pas forcément toujours de bonne humeur, mais je me dis : « Cet homme-là, je l’aime. »
En ce qui concerne ceux qui sont morts, je les aime et je leur parle en les aimant. Pour moi c’est ça la prière. Il y a aussi l’Eucharistie et même si je suis parfois distraite, c’est pour moi un moment de ressourcement. Toutes les paroles qui sont dites sont essentielles et c’est magnifique. Parfois, je dis simplement les deux premiers mots du Notre Père et c’est toute ma prière.
Prier au cimetière
Les cimetières peuvent être de très beaux lieux, mais pourtant je les fuis. J’ai le souvenir d’y être allée chaque année au mois de novembre : on y entre, on est accroché à sa plante, on la dépose et on s’en va. Je ne sais pas prier au cimetière, mais je connais des personnes qui aiment beaucoup y aller. Pour elles, c’est un lieu apaisant, un lieu de repos.