Homélie de Monsieur le cardinal Gérald Cyprien Lacroix
Archevêque de Québec, Primat du Canada
Solennité de Notre-Dame Libératrice
Sanctuaire Notre-Dame de Montligeon, France, 9 novembre 2025
« Tout recommence en Jésus Christ »
Qohélet 12, 1-8; Psaume 99 (100) 1-5; I Corinthiens 12 12-27; Jean 2, 1-11
Très chers frères et sœurs,
Ici… aujourd’hui… nous ne fuyons pas la réalité de notre monde.
Nous la portons. Et nous la déposons dans le Cœur de Marie qui est honorée ici à Montligeon… Notre-Dame Libératrice. Non pas celle qui supprime le réel. Mais celle qui accouche du réel renouvelé.
Le livre de Qohélet que nous venons d’entendre… est un des textes les plus lucides de toute la Bible. Il n’est pas pessimiste. Il est vrai.
Tout passe. Tout s’effrite. Tout glisse entre les doigts.
Les puissances humaines qui se croyaient solides… s’avèrent poussière. Vous avez peut-être entendu le récit de ce prédicateur enflammé qui monte en chaire et s’exprime ainsi : « Mes bien chers frères, vous mourrez tous un jour… et moi aussi peut-être ! » Non, il n’y a pas de peut-être. Tous, nous sommes appelés à vivre ce passage dans lequel nous basculons dans la vie éternelle.
Ce réalisme n’est pas défaitiste. C’est le fondement même de la libération chrétienne. On ne peut pas être libéré de ce que l’on refuse de regarder en face. La libération commence exactement quand tombe l’illusion de se sauver soi-même.
La Vierge Marie ne fuit jamais le réel. Elle ENGENDRE ce que Dieu veut faire dans le réel. Le psaume 99 nous redit: « Il nous a faits et nous sommes à lui ».
Le premier geste de libération… c’est de sortir de l’illusion de l’auto-création. La vie ne s’auto-produit pas. La liberté humaine ne peut pas se suffire. La libération chrétienne commence quand nous disons: « Je n’ai pas à être mon propre sauveur. »
Et c’est précisément là que l’humanité retrouve un centre.
Un centre solide… non pas dans la performance… mais dans la relation, dans la rencontre d’un Dieu bon, miséricordieux.
Saint Paul nous l’a redit avec puissance: l’Esprit Saint ne fait pas des individus juxtaposés… il fait un Corps.
Chaque personne ici… chaque histoire… chaque blessure… chaque péché… chaque grâce reçue… tout cela est assumé, rassemblé, intégré par l’Esprit en un seul être vivant : le Corps du Christ.
La libération chrétienne n’est jamais « technique » ni « mentale .
Elle est ecclésiale. On ne se sauve pas tout seul. Personne n’est un fragment. Personne n’est superflu. Personne n’est perdu de manière définitive.
Et l’Évangile des noces de Cana … est la révélation qui nous ouvre à l’espérance.
Là où l’humain arrive au bout… Là où « il n’y a plus de vin »…
Là où il n’y a plus de solution humaine… Marie dit la phrase la plus libératrice de tout l’Évangile: « Faites tout ce qu’il (Jésus) vous dira.»
Marie voit le manque et le dit. Elle nomme le réel. Elle n’enrobe pas. Elle n’embellit pas.
Là… Marie ouvre un espace. Là… elle donne à Jésus l’espace d’agir. Et Jésus ne répare pas. Il transfigure. Il fait passer de l’eau au vin. Il fait passer du manque à la surabondance. Il fait passer du « plus rien » à « mieux que le commencement ». Voilà la libération chrétienne.
Ici à Montligeon… par l’intercession de Notre-Dame Libératrice… nous venons déposer nos impossibilités. Nos morts déjà commencées. Nos relations cassées. Nos péchés têtus. Nos impossibilités économiques, affectives, morales. Pas pour obtenir un effacement magique. Mais pour laisser le Christ transformer.
Marie n’est pas une déesse « qui ferait à la place de ». Elle est celle qui ouvre l’espace intérieur… afin que Dieu puisse agir afin de donner à Dieu la pleine liberté d’agir comme il le désire.
Frères et sœurs… Aujourd’hui nous demandons ceci: « Marie, libère en nous la capacité d’écouter Jésus. » La vraie libération chrétienne n’est pas un dégagement extérieur. La vraie libération chrétienne… c’est d’être rendu capable d’obéir à l’Amour.
Alors… ici… dans ce sanctuaire de Notre-Dame de Montligeon… dans cette solennité… que l’Esprit Saint recompose en nous le Corps du Christ. Qu’il transforme nos eaux pauvres en vin de noces. Qu’il nous fasse devenir… ensemble… un peuple qui reprend la route de l’espérance, le pèlerinage de notre vie, guidé par Jésus, en communion avec le corps du Christ.
Frères et sœurs… ici à Montligeon… devant Notre-Dame Libératrice… nous venons avec nos vanités, nos vides, nos fatigues, nos échecs, nos deuils, nos addictions, nos culpabilités, nos impossibilités concrètes, nos péchés… nous venons avec notre réalité. Nous ne venons pas ici pour fuir notre réalité mais pour la confier au Seigneur.
Nous venons dire avec Marie: « Il n’y a plus de… » paix dans mon cœur, d’espérance devant les épreuves que je vis, d’harmonie dans mon couple, dans ma famille, de joie de vivre, de liberté. Et nous venons lui demander d’obtenir pour nous la capacité de dire:
« Jésus, parle. Dis. Et nous ferons ce que tu diras ».
La vraie libération chrétienne est christologique et ecclésiale. Marie ne remplace pas le Christ. Elle ouvre l’espace pour que son Verbe devienne efficace en nous. La libération n’est pas d’abord notre œuvre : elle est œuvre de Dieu. Abandonnons-nous avec confiance à la conduite maternelle de la Vierge Marie, notre Libératrice. Elle sait où elle nous conduit… ou plutôt, elle connaît Celui qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie ». Lui seul peut nous conduire à la Vie en abondance, à la Vie éternelle.
Frères et sœurs, que la Parole de Dieu soit la lumière qui éclaire notre chemin de vie, notre pèlerinage. Elle est vivante et efficace. C’est pour cela que nous l’écoutons et l’accueillons.
Le pape François, de regrettée mémoire a dit un jour : « La Parole de Dieu est la lettre d’amour que nous écrit Celui qui nous connaît comme personne d’autre. En la lisant, nous entendons à nouveau sa voix, nous contemplons son visage, nous recevons son Esprit[1]. »
[1] Pape François, Homélie, Dimanche de la Parole, 24 janvier 2021.
