« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche de rentrer dans le royaume de Dieu ». L’évangile recommande de ne pas se laisser aveugler par les biens matériels et de rechercher plutôt la prière et l’humilité… Cette mise en garde est-elle à prendre au pied de la lettre ? Que signifie avoir un coeur de pauvre ? Réponse de soeur Cécile pour RCF Orne-Calvados-Manche.
Dans l’évangile, les riches n’ont pas bonne presse ? L’argent est-il un handicap pour entrer dans le Royaume des Cieux ?
La question de l’argent et de l’avoir est très présente dans l’évangile. Jésus met en garde contre l’avidité en utilisant plusieurs paraboles, comme celle d’un homme qui amasse tellement de blé qu’il veut construire un grenier pour en mettre encore plus. S’il meurt le soir même, que fera-t-il de tout ce blé ? Donc c‘est une question qui interroge, et on pourrait se dire à première vue en lisant l’évangile qu’il ne fait pas bon être riche. Et que si on a le malheur d’être riche, qu’en sera-t-il de nous au paradis ?
Après la parabole du jeune homme riche qui s’en va tout triste parce qu’il a de grands biens, Jésus utilise une autre image. Celle du chameau, auquel il est plus facile de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux. Devant ces paroles, les apôtres sont complètement consternés et se demandent vraiment qui pourra être sauvé.
Certains riches peuvent-ils entrer dans le Royaume de Dieu ?
Pourtant dans l’Écriture sainte, il est aussi question de riches personnages parmi les justes. Job par exemple était l’homme le plus riche de tout l’Orient et pourtant, il était juste. Il va perdre toutes ses richesses matérielles et familiales et il va faire un chemin. Il fera partie des sauvés. Zachée est riche lui aussi mais Jésus vient à sa rencontre et s’invite chez lui, il lui ouvre aussi la porte de son cœur.
À son tour, Zachée va entrer dans ce chemin de sainteté. Au moment de l’ensevelissement de Jésus, on retrouve encore un riche, un notable : Joseph d’Arimathie. Donc on voit bien que les riches peuvent aussi entrer dans un véritable chemin de sainteté. Dans la vie des saints, on retrouve aussi beaucoup de riches, saint Louis par exemple. Y-a-t-il une opposition entre le fait d’être riche et la sainteté, ne prenons pas trop vite le raccourci.
Certains saints ont aussi connu la richesse. En Normandie, Louis Martin, le père de sainte Thérèse était riche et saint. Sa famille faisait partie de la bourgeoisie, il avait gagné de l’argent avec son entreprise d’horlogerie, mais en même temps, il a été très généreux envers les pauvres, tout en étant aisé. Notre esprit contemporain est marqué aussi par cette lutte de classes et il faut aller un peu plus loin dans notre réflexion. N’ayons pas de lecture trop rapide pour dire qu’il ne faut pas être riche !
L’argent empêche-t-il concrètement l’œuvre de Dieu en nous ?
Jésus nous met en garde contre l’argent, parce qu’il comporte le grand danger de l’avarice qui peut complètement faire obstacle à l’œuvre de Dieu. L’argent, on en a besoin et c’est un bon serviteur, mais c’est un mauvais maître. Quand il le devient, il nous installe dans un certain confort, qui peut très vite nous rendre autosuffisants. La tentation est alors de se gérer soi-même et de rester sourd et aveugle face à la misère d’autrui. Ce n’est pas automatique, mais il faut être vigilant.
Un cœur autosuffisant ne sait rien attendre des autres. Dans ce cas, on tue quelque chose dans la relation puisqu’on s’isole d’une certaine manière. Dans la parabole du pauvre Lazare, le riche meurt et se trouve face à un fossé infranchissable, inéluctable et éternel par rapport au pauvre qui est sauvé. C’est le grand danger de l’argent.
L’argent nous fait aussi entrer dans une espèce de spirale de « jamais fini », de toujours plus d’argent, de toujours plus de possessions. Cela fait partie des grandes tentations. Jésus a été tenté trois fois dans le désert et la première d’entre elles, c’est justement celle de l’avoir. Cette tentation de l’avidité, nous fait glisser dans les autres tentations de la gloire, de l’honneur, du paraître et finalement des prises de pouvoir et de l’orgueil. C’est donc un véritable engrenage qui peut très vite nous éloigner de Dieu. Le fils prodigue par exemple, claque tout son héritage jusqu’à finalement se retrouver tout seul dans la misère. Donc l’argent conduit d’une certaine manière à s’isoler.
Comment faire pour avoir un coeur de pauvre ?
Nous devons être capables de vérifier s’il y a un attachement au niveau de notre cœur profond. Quel est le curseur de notre attachement aux biens ? Est-on capable de donner à des œuvres ? Que ressent-on à ce moment-là ? Soyons attentifs à ce qui se passe dans notre cœur.
Mais l’argent n’est pas le seul problème. Ce n’est pas tant le fait d’être riche ou pauvre que le rapport à la pauvreté et à la richesse. On peut être pauvre et ne pas être proche de Dieu pour autant. Être dans la révolte ou la haine du riche, ce n’est pas être saint. Jésus nous invite à vivre la pauvreté de cœur. Un cœur de pauvre est suffisamment détaché pour ne pas être dans l’autosuffisance. Le pauvre c’est celui qui a besoin de l’autre, c’est sa définition. Il attend tout des autres.
Donc cette attitude de cœur peut se vivre au plan matériel mais aussi intellectuel ou spirituel : est-ce que j’attends tout de Dieu ou bien est-ce que je vis sans lui ? Ne pas avoir besoin de Dieu c’est aussi ne pas être pauvre de cœur.
Le pauvre de cœur crée en lui de plus en plus d’espace pour être comblé de ce qu’on va lui donner. Dans la relation aux autres par exemple : il faut une certaine pauvreté intérieure pour être capable de recevoir l’amitié de l’autre. Sinon on est dans une relation mal ajustée. Être pauvre de cœur c’est se laisser creuser par le fait d’accepter cette dépendance à l’autre et ne pas se suffire à soi-même.
La mort remet-elle le pauvre et riche au même niveau ?
La mort met tout le monde sur un pied d’égalité. C’est une grande expérience de pauvreté que nous allons tous vivre. C’est un moment de dépouillement, d’appauvrissement où on doit complètement se remettre entre les mains de l’autre. Le pauvre de cœur peut être plus apte à vivre ce passage car la mort se prépare dès aujourd’hui. Le pape François aime dire que les linceuls n’ont pas de poches ! Nous n’aurons pas besoin de nos biens terrestres.
J’aime cette histoire d’un riche qui arrive au paradis. Saint Pierre l’accueille et le guide jusqu’à l’endroit où il va habiter. Ils traversent des belles demeures, puis des pavillons avec de beaux jardins, puis des quartiers plus modestes, des HLM. Et ce n’est toujours pas là. Le riche s’étonne. Saint Pierre consulte sa liste : « Je vous assure ! Avec ce que vous avez apporté, on n’a pas pu faire plus. » Et c’est donc dans une masure qu’il installera le riche.
Cette histoire montre que la seule richesse que nous apporterons sera l’amour que nous aurons semé sur la terre. Thérèse qui a semé beaucoup d’amour sur la terre disait qu’elle sera présenterait devant Dieu les mains vides. Elle comprenait que toute la charité qu’elle avait déployée sur la terre avait été possible grâce à Dieu. Qu’as-t-u que tu n’aies reçu ?
Le purgatoire est-il aussi le moment d’apprendre à avoir un coeur de pauvre ?
Ce n’est pas rien la mort. Qui peut dire qu’il va arriver parfaitement pauvre devant Dieu ? C’est certainement le cas du Bon larron. Mais on peut penser qu’il y aura encore des purifications à vivre par rapport à toutes les conséquences de notre avidité, par rapport à toutes les choses auxquelles nous sommes liés. Le purgatoire est un temps pour apprendre cette pauvreté du cœur.