Une loi sur la fin de vie et de l’aide à mourir est en cours d’examen en France. Qu’en penser ? Voici quelques repères sur la question difficile et dramatique de la fin de vie, l’euthanasie et le suicide assisté.
Une question difficile et dramatique
C’est avec précaution que nous abordons la question difficile et dramatique de la fin de vie, car des histoires personnelles et des souffrances sont en jeu. Aujourd’hui, les tentations de l’euthanasie et du suicide assisté sont très fortes. Et elles le sont d’autant plus que notre société est individualiste et qu’elle refuse la fragilité.
Par ailleurs, les actes médicaux qui interviennent à la toute fin de la vie sont compliqués à comprendre pour le malade et pour ses proches : s’agit-il de soins, de traitements, quelles sont leurs conséquences, jusqu’où atténuer la douleur au risque d’empêcher le malade de vivre sa mort ? Ces pratiques ne sont-elles pas entourées d’un certain flou ?
Plus fondamentalement, la grande question qui se pose est la prise en charge de la maladie et de la mort de nos aînés. En France par exemple, est-ce que nous ne sous-traitons pas trop la prise en charge de nos anciens aux Ehpad ? Ne leur mettons-nous pas dans la tête qu’ils nous dérangent ?
Le suicide assisté
Concernant la mort, n’avons-nous pas le fantasme d’une mort douce ? Dans le refus de la dépendance et de la vieillesse, n’y a-t-il pas un refus du réel, de l’orgueil ?
Et que penser des demandes de suicide assisté ? Je me souviens de cet homme qui souffrait terriblement d’un cancer métastasé et qui demandait à son épouse d’abréger ses souffrances. Celle-ci lui apporta la boîte des médicaments en lui disant: « Fais-le toi-même ». Le mari, surpris, lui répondit alors d’une voix calme d’aller ranger la boîte à sa place.
Comment comprendre encore les réunions de famille organisées autour des suicides assistés ? Est-ce vraiment un cadeau offert à ceux qui restent ?
Les questions soulevées par l’euthanasie et le suicide assisté nous engagent, d’une part à faire la vérité sur la fin de la vie, d’autre part à aborder la mort et la dépendance avec lucidité et humilité, et enfin à nous engager concrètement pour les plus vulnérables. L’avenir de notre société en dépend.
Don Paul Denizot, Chemin d’éternité n°311.
C’est un impératif d’humanité et de fraternité que de soulager la souffrance et d’offrir à chacun la fin de vie la mieux accompagnée plutôt que de l’interrompre par un geste létal. Notre idéal démocratique, si fragile et si nécessaire, repose sur l’interdit fondateur de donner la mort.
Déclaration des évêques de France, 19 mars 2024
L’euthanasie prive d’étapes importantes du « travail du trépas »
J’ai rencontré dans mes lectures le terme « travail du trépas ». Cela m’a fait penser à la « salle de travail » de l’accouchement, à l’autre extrémité de la vie. Ce travail est peut-être la dernière tentative de se mettre complètement au monde, de boucler la boucle. En fin de vie, vous êtes obligés de vous abandonner et d’être totalement dans la relation. Cela permet parfois des actes, impossibles quand vous étiez dans la maîtrise de vous-mêmes, comme des réconciliations, des transmissions, des pardons…
Ce qui se vit alors est aussi beau pour la personne qui part, que pour celles qui restent (souvent les grandes oubliées de nos débats). Il faut toujours laisser la possibilité que cela advienne. Car c’est une ressource pour la vie future des proches. L’énergie demandée pour préparer un départ volontaire, la volonté de maîtrise absolue peut faire rater ces rendez-vous. Sans compter la culpabilité de ceux qui restent (d’avoir refusé de donner la mort ou au contraire d’y avoir cédé).
Fin de vie : l’euthanasie et le suicide assisté ne répondent pas à la question de la souffrance
La souffrance intense, qu’on doit combattre autant que possible, ne se soigne pas par l’acte de donner la mort. Donner la mort n’est évidemment pas un soin. Les médecins, les soignants le disent et l’écrivent sur tous les tons. Et les juristes rappellent que l’évolution de la loi n’entraînerait pas un changement du code de la santé publique, mais du code pénal…
En revanche les soins existent, les progrès médicaux concernent aussi les antalgiques. L’art des soins palliatifs est de les doser de manière à soulager en altérant au minimum la conscience pour que les personnes en fin de vie puissent mener ce « travail du trépas ».
Dans son interview à la revue Chemin d’Eternité de l’été 2022, Erwan Le Morhedec dit : « J’ai rencontré dans mes lectures le terme « travail du trépas » qui m’a fait penser à la « salle de travail » de l’accouchement, à l’autre extrémité de la vie. Ce travail est peut-être la dernière tentative de se mettre complètement au monde, de boucler la boucle. »
Il reste la question délicate de ce que les médecins appellent « la souffrance réfractaire ». Face à cela, la dernière loi sur la fin de vie, dite Claeys-Léonetti de 2016 ouvre la possibilité de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. A des conditions très strictes, très encadrées, on altère la conscience pour éviter la souffrance, sans tuer. L’intention n’est pas la même. C’est décisif.
J’ai rapidement passé en revue les arguments des défenseurs de l’euthanasie. Face à la contestation très forte du corps médical et des voix importantes qui se sont fait entendre, le gouvernement promet une loi très restrictive, très encadrée.
Nous savons de manière certaine qu’une telle loi, qui ne concernerait que quelques cas extrêmes, ne tiendra pas. Dans tous les pays qui ont légalisé l’euthanasie, les conditions sautent les unes après les autres, s’assouplissent, s’ouvrent aux enfants, aux personnes dépressives, et finalement à tous ceux qui sont fatigués de vivre… Le danger est grand. Il conduira à une altération des consciences sur la dignité humaine, à un déclin clair de civilisation.