» Contrairement aux apparences, ce n’est pas nous qui visitons Marie en ce sanctuaire. C’est Elle qui nous visite ! » Le 15 août 2023, Mgr Pierre-Antoine Bozo a présidé la messe de la solennité de l’Assomption à Montligeon. Voici son homélie.
Étonnant, vous ne trouvez pas, que pour célébrer la solennité de l’Assomption – mystère glorieux du chapelet -, l’Église propose ce passage de l’Évangile de la Visitation, un mystère joyeux.
L’Assomption de Marie n’a-t-il pas son évangile propre ? Et bien non. Le Nouveau Testament, vous le savez, ne dit rien de la fin de la vie de Marie. Alors, est-ce que l’Église n’en rajoute pas trop ? Ne donne-t-elle pas un éclat et des privilèges déraisonnables à cette « humble servante » comme se définit Marie ? Y avait-il besoin de ces deux dogmes tardifs de l’Immaculée Conception et de l’Assomption ?
Ces dogmes ne sont pas des oukases pontificaux ! Ils ne sont que la traduction tardive, par le magistère de l’Église, du sensus fidei, du sens de la foi des fidèles. C’est dans le saint peuple de Dieu que s’est forgée peu à peu la conviction que Marie, qui n’a pas partagé la chute d’Adam, n’avait pas connu la corruption du tombeau. Il n’existe ni reliques du corps de Marie, ni tombeau de Marie.
Suivons la Sainte Vierge dans ce magnifique récit. Les participants des JMJ, dont je suis, sont heureux de retrouver en exergue de cette scène de la Visitation le thème qu’avait donné le Saint-Père : « Marie se leva et partit en hâte » (Lc 1, 39). « Αναστασα δε Μαριαμ » – c’est le verbe de la Résurrection. Marie se lève comme ressuscitée, parce qu’elle vient d’entendre l’annonce de l’Ange et porte désormais en son sein la source de la Vie.
Alors, pourquoi cet évangile de la Visitation ? Peut-être parce que Marie y annonce ce que nous célébrons aujourd’hui : « Désormais tous les âges me diront bienheureuse ». C’est la première béatitude de l’évangile de saint Luc. L’Assomption est une béatitude.
Elle qui sait prendre son temps pour « méditer en son cœur », à ce moment décisif et si mystérieux, ne reste pas à s’interroger sur les conséquences du Oui qu’elle vient de donner à l’ange du Seigneur. Elle part en hâte à la rencontre de sa cousine Elisabeth.
Saint Luc nous présente la rencontre jubilatoire de la jeune femme vierge et de la veille femme stérile, qui portent toutes les deux la vie, comme un pur don de Dieu, maître de la Vie.
L’Assomption, c’est Marie qui nous visite
L’exclamation d’Elisabeth, sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, nous est familière : « Tu es bénie entre toutes les femmes ». Combien de fois l’avons-nous prononcée sous les grains de notre chapelet… Ce qui explique la surprise d’Elisabeth : « D’où m’est-il donné que la Mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? ». C’est aussi notre surprise, car elle vient à nous aujourd’hui, la mère du Seigneur, à chacun de nous. Contrairement aux apparences, ce n’est pas nous qui la visitons, en ce sanctuaire dédié à Notre-Dame. C’est Elle qui nous visite. Et Elle n’est pas seule car elle nous apporte son Fils ! Et avec Lui, tout le trésor de la Foi et du Salut.
Non seulement elle nous présente Jésus, mais elle témoigne pour elle-même, du salut en Jésus. Car si Marie est la mère du Sauveur, elle est aussi la première sauvée. Elle n’est pas à part du genre humain, elle a eu besoin, comme toute la descendance d’Adam, d’être libérée du joug du péché.
Si elle est « bénie entre toutes les femmes », c’est à cause de son rôle unique dans l’histoire du Salut. A cause de cela, elle est sauvée du péché de manière éminente, par anticipation, dès le premier jour de sa conception « par une grâce venant déjà de la Mort de son Fils ». Elle est comme pardonnée d’avance.
Et de même qu’au début de sa vie, elle anticipe le don de la Rédemption – c’est l’Immaculée Conception – de même, au terme de sa vie, elle anticipe la résurrection de la chair – c’est l’Assomption -. Nous l’avons entendu dans la lettre aux Corinthiens : « dans le Christ tous recevront la vie, mais chacun à son rang ». Marie est au premier rang. Elle est privilégiée non pas parce qu’elle est au-dessus du « commun des mortels », comptée parmi quelques chanceux « happy fews », mais parce que Dieu n’a « pas voulu qu’elle connaisse la corruption du tombeau, elle qui a porté dans sa chair ton propre Fils », comme le chante la préface de cette fête.
L’Assomption nous montre le caractère sacré du corps humain
Le péché, la mort, la dégradation du tombeau, qui font partie de notre condition humaine, sont des conséquences du refus de Dieu, nous l’avons entendu dans la deuxième lecture. La séparation du corps et de l’âme, à l’heure de notre mort, n’est pas une libération, c’est un manque. Notre corps n’est pas l’enveloppe provisoire de notre âme, encore moins sa prison, il fait partie de notre personnalité, de notre identité. Dieu ne veut pas que cette merveille soit à jamais détruite. C’est ce que nous appelons la « résurrection de la chair ». C’est très mystérieux, cela ne peut se représenter qu’en contemplant Jésus ressuscité et Marie en son assomption. Ils sont l’image de ce que nous sommes appelés à devenir.
Voilà pourquoi il fait partie de notre vocation de respecter le corps humain, temple de l’Esprit, de le respecter dès le sein de sa mère, où l’évangile de ce jour nous montre qu’il est pleinement vivant – « l’enfant a tressailli d’allégresse dans mon sein » – de le respecter à chaque instant de la vie, de toute vie, de le respecter jusqu’aux derniers instant de sa vie terrestre – comment ne pas le rappeler avec un accent d’urgence et d’inquiétude, à l’heure où notre pays s’apprête à légaliser l’euthanasie ?
L’Assomption n’est donc pas une invitation à contempler une femme inimitable dans une lumière inaccessible. Elle évoque notre vocation ultime, elle nous engage à nous lever, nous aussi, en hâte, pour suivre Jésus, pour le porter aux autres, pour vivre déjà ici-bas, dans notre corps, de la vie de ressuscité, qui s’épanouira pleinement dans l’éternité bienheureuse. Amen.