Un théologien allemand a dit un jour que le miracle d’un cadavre réanimé – s’il pouvait se produire un jour – serait en fin de compte sans importance puisqu’il n’aurait aucune conséquence sur notre vie, maintenant. Nous ne serions finalement pas concernés.
Cette opinion rapportée par le pape Benoit XVI est particulièrement intéressante. N’est-cas pas aussi une de nos tentations, nous qui célébrons la Résurrection du Christ en cette nuit ?
N’est-ce pas notre tentation que de la considérer comme un évènement du passé ? de croire que le Christ est ressuscité mais que sa résurrection appartient au passé ?
Je pense aux saintes femmes qui se rendent au tombeau à la pointe de l’aurore en ce matin de Pâques. La passion et la mort ignominieuse de Jésus a secoué leur cœur de femmes, de mères, de disciples :
Ce fut l’échec tragique. Lamentable… « Et nous, nous espérions qu’il allait délivrer Israël » diront les disciples d’Emmaüs. La promesse du Royaume n’a pas été tenue.
Mais quel amour que celui des saintes femmes (Marie Madeleine, Jeanne, Marie mère de Jacques et des autres…), un amour qui les a emmenées au tombeau dès l’aurore, dès la fin du Sabat pour voir une dernière le visage tuméfié, pour toucher, soigner et embaumer le corps froid de cet homme qu’elles ont tant aimé….
Ultime, terrible et dérisoire consolation avant de perdre ce visage à tout jamais.
Jésus semble déjà appartenir au passé et elles viennent au tombeau comme pour garder un dernier souvenir, une dernière fois.
Nous pouvons dans cette perspective célébrer Pâques comme une commémoration, comme un évènement de l’histoire qui fait notre identité de chrétien, comme on peut célébrer le 14 juillet, la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981 ou celle de l’équipe de France de football en 1998…. Jésus appartiendrait au passé, uniquement au passé.
Une autre tentation, serait de considérer le monde de la Résurrection, le monde de Dieu comme un monde parallèle au nôtre. Jésus est ressuscité et il aurait été enlevé dans une autre dimension, séparée de la nôtre. Il nous y attendrait en faisant quelques incursions sporadiques dans nos vies…
Comme cette tentation est forte de séparer le naturel du surnaturel, ce monde créé par Dieu à partir de rien comme nous l’a rappelé la première lecture du livre de la Génèse et le monde la grâce… de les opposer même. De sorte que la Résurrection serait en dehors de nos vies, au-dessus…
Elle est forte cette tentation de spiritualiser les choses : on la retrouve lorsqu’on parle trop vite d’enciellement à des obsèques devant une tombe froide et sombre, ou lorsqu’on explique à une personne en deuil qu’il ne faut pas qu’elle pleure puisque son défunt est au ciel…
Et finalement, pour ceux dont la vie est particulièrement éprouvée, il s’agira d’attendre que passe ce temps, que passe ce monde, pour rejoindre le rivage de la vie éternelle et ceux qu’ils ont aimés. Mais ce sera plus tard…
Et en fin de compte, il va tous nous falloir apprendre à laisser les réalités de ce monde derrière nous, les relations, nos liens familiaux et amicaux… Puisque la mort ne nous épargnera pas.
Quelle tentation que cette déconnexion de la vie de Dieu et de notre vie réelle. Mais non, la Résurrection du Christ ce n’est pas cela. Ni un évènement qui appartiendrait au passé, ni à une autre dimension radicalement lointaine de ce que nous vivons.
La Résurrection est un mystère inouï, qui dépasse notre compréhension, notre intelligence, un mystère de foi, le Mystère de la foi, insaisissable.
En allant annoncer la résurrection aux apôtres, les saintes femmes ont-elles compris la réalité qu’elles annonçaient ? Et Pierre ? Les femmes lui ont annoncé la résurrection qui appartenait à l’espérance d’Israël, elles lui ont rappelé l’annonce du maître : « il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite », il a vu le tombeau vide…. Mais c’est tellement grand, inimaginable. Qu’est-ce que cela veut dire que le Christ est ressuscité des morts ?
La Résurrection, signifie que la plus grande mutation de l’évolution a eu lieu, un saut décisif, une nouvelle dimension de vie a surgi dans la mort même pour saisir toute la création. Elle a jailli dans ce monde pour le transformer.
Le Christ est vivant. Il est là, au milieu de nous, avec nous, en nous, présent. Le Christ est vivant et nous espérons que nos défunts sont avec lui aujourd’hui et non dans « un au-delà » ou un monde parallèle.
Le Christ est vivant et la puissance de sa résurrection, la lumière décisive jaillie du tombeau (symbolisée par le cierge pascal) vient nous éclairer et nous toucher aujourd’hui encore. Elle nous a illuminé lors de notre baptême et elle continue aujourd’hui à illuminer nos vies, le monde, nos frères et sœurs défunts.
La Vie éternelle, la vie de Dieu, son amour et sa lumière se sont déjà manifestés en nous.
C’est pourquoi nous allons renouveler ce soir de manière solennelle les promesses de notre baptême en nous souvenant que la lumière jaillie du tombeau vient aujourd’hui encore éclairer ma vie au milieu des épreuves et des difficultés.
Cette lumière est puissante. Elle est sans déclin. Depuis 2000 ans, elle éclaire le monde et se diffuse de manière inexorable, aucun obstacle ne pourra la retenir. Elle est plus puissante que tous les phénomènes, les maux, les idoles ou les idéologies, qui nous menacent : crises, guerres, effondrement écologique, paradigme technocratique ou individualisme marchand qui prétend libérer l’homme en supprimant les plus fragiles.
Cette lumière de la Résurrection est infiniment puissante parce qu’elle a jailli du néant de la mort. Alors rien ne pourra l’arrêter et c’est là notre joie !
Amen.