Le purgatoire, conférence du pèlerinage de l’Ascension à Notre-Dame de Montligeon du 26 mai 2022 donnée par Mgr Celestino Migliore – Nonce Apostolique
Le 11 janvier 2020, le pape François a nommé Mgr Celestino Migliore nonce apostolique en France. Il exerçait jusqu’à présent cette fonction auprès de la Fédération de Russie et en Ouzbékistan. Né le 1er juillet 1952 à Cuneo, dans le Piémont italien, il est ordonné le prêtre le 25 juin 1977 pour ce même diocèse et suit en parallèle une formation en droit canonique qui le conduira jusqu’au doctorat. C’est il y a quarante ans, en 1980, qu’il entre au service diplomatique du Saint-Siège, travaillant d’abord auprès des représentations pontificales en Angola, aux États-Unis, en Égypte et en Pologne. Puis vient Strasbourg, et ensuite le Vatican.
Texte intégral de la conférence de Mgr Celestino Migliore.
Je suis heureux de pouvoir m’entretenir avec des fidèles de la paroisse et les pèlerins du pèlerinage du Ciel, venus prier Notre-Dame Libératrice des âmes du purgatoire.
Comme je le disais dans l’homélie de la messe, je suis étonné de cette soif de verticalité des chrétiens depuis ces périodes de crise. Votre grand pèlerinage du Ciel de l’Ascension en témoigne très bien. Le besoin de prière, de liturgie, d’adoration ainsi que la soif d’enseignement et de formation n’ont jamais été aussi importants. Vous pèlerins, vous donnez à la société humaine la clé pour l’avenir à travers votre soif d’un Dieu célébré, annoncé et qui rayonne à travers la Parole de Dieu mise en pratique.
Nous avons prié et nous continuons à prier Notre Dame Libératrice des âmes du purgatoire.
Vous avez déjà souvent entendu parler du purgatoire. Mais il est bon de revoir quelques points sur cette réalité dont on ne parle presque plus aujourd’hui.
Il y a déjà onze ans, au cours d’une audience générale du mercredi, le Pape Benoît XVI a expliqué ce qu’est le purgatoire en s’inspirant de la pensée et de la vie de sainte Catherine de Gênes.
Catherine a été une mystique et une voyante italienne, qui s’est illustrée par ses œuvres de miséricorde envers les pauvres et les malades. Elle a été proclamée sainte il y a environ trois cents ans et étant l’auteur du Traité du purgatoire, elle est aussi connue sous le titre de Docteur du purgatoire.
Dans la seconde moitié du XVème siècle, l’époque de Catherine de Gênes, le purgatoire était considéré comme un lieu de purification de l’âme, exigeante et douloureuse, avant d’entrer au paradis.
Que le purgatoire soit un lieu physique est une conviction très ancienne, jusqu’à une époque récente.
Pour Catherine, il n’en était pas ainsi. Elle a décrit le purgatoire non pas comme un feu extérieur dans un lieu physique situé dans les profondeurs de la terre, mais comme un feu intérieur, une flamme de Dieu qui brûle à l’intérieur de l’âme, nécessaire pour la purifier afin qu’elle puisse jouir de la vision béatifique au paradis. Immergée dans cet amour, l’âme vit cette période transitoire dans un état de souffrance vigilante et consciente.
Le Pape Benoît XVI lui a donné pleinement raison.
Certains medias ont repris cette catéchèse du pape en la considérant comme une bonne nouvelle. Comme si le pape avait parlé non pas de l’intériorité du purgatoire, mais avait déclaré sa disparition, comme s’il n’avait jamais existé. Une disparition qui est déjà effective dans une large mesure dans la prédication courante de l’Église, depuis plusieurs décennies.
Mais l’enseignement de Benoit XVI dit exactement le contraire. Non pas la disparition du purgatoire, mais sa véritable réalité.
Il est important de noter que Catherine, dans son expérience mystique, n’a jamais eu des révélations spécifiques sur le purgatoire ou sur les âmes en état de purification. Toutefois, dans ses écrits, c’est un élément central, et la manière de le décrire a des caractéristiques originales par rapport à son époque.
Le premier trait original concerne le « lieu » de la purification des âmes. A son époque, on se le représentait principalement par le biais d’images liées à l’espace ; on pensait que le purgatoire se situait à un certain endroit. Chez Catherine, au contraire, le purgatoire n’est pas présenté comme un élément du paysage dans les entrailles de la terre : c’est un feu non pas extérieur, mais intérieur.
Le purgatoire est un feu intérieur. La sainte parle du chemin de purification de l’âme vers la pleine communion avec Dieu, en partant de sa propre expérience de profonde souffrance pour les péchés commis, par rapport à l’amour infini de Dieu.
Nous devons savoir que Catherine, comme tous les saints et saintes, n’est pas née sainte. Menant une vie insouciante, elle l’est devenue en se convertissant. Elle venait d’une famille noble et, comme cela se faisait à l’époque, sa famille l’a obligée à se marier avec un noble pour accroître la puissance et la richesse familiale. Le couple, qui n’a pas pu avoir d’enfants, a vécu une vie insouciante et mondaine pendant les dix premières années. Jusqu’à ce que Catherine soit saisie par une conversion religieuse, soutenue par une vision mystique. Son mari se convertit rapidement après. Tous les deux changèrent complètement de vie. Ils sont allés vivre dans une maison modeste à côté d’un hôpital et le mari entra dans le tiers ordre franciscain. La vie mystique de Catherine a été très intense, mais à côté de sa vie spirituelle, elle vivait une importante activité de service auprès des plus pauvres et des malades.
Donc une conversion. Catherine sent tout d’un coup la bonté de Dieu, la distance infinie entre sa propre vie et cette bonté, et un feu brûlant à l’intérieur d’elle-même. C’est ce feu qui purifie, le feu intérieur du purgatoire.
Voici un autre trait original par rapport à la pensée de l’époque. Elle ne part pas de l’au-delà pour raconter les tourments du purgatoire – comme c’était l’habitude à cette époque et peut être encore aujourd’hui – pour ensuite indiquer la voie à suivre pour être purifié et se convertir. Notre sainte part au contraire de sa propre expérience intérieure de vie en chemin vers l’éternité.
L’âme – dit Catherine – se présente devant Dieu encore liée par les désirs et la peine qui viennent du péché, et ceci l’empêche de jouir de la vision béatifique de Dieu. Catherine affirme que Dieu est si pur et saint que l’âme marquée par le péché ne peut supporter sa présence.
Nous aussi, nous sentons combien nous sommes loin, combien nous sommes encombrés par tant de choses, ce qui nous empêche de voir Dieu. L’âme est consciente du grand amour et de la justice de Dieu et, par conséquent, elle souffre de ne pas y avoir répondu de manière juste et généreuse. C’est justement l’amour même envers Dieu qui devient une flamme. L’amour même la purifie des scories du péché.
On trouve chez Catherine la présence de sources théologiques et mystiques auxquelles il était normal de puiser à son époque. En particulier, l’image du fil d’or qui relie le cœur humain à Dieu lui-même. Quand Dieu a purifié l’homme, il le relie à lui avec un fil d’or très fin, qui est son amour, et l’attire de manière si forte, que l’homme demeure comme « dépassé et vaincu et tout hors de lui ». Ainsi le cœur de l’homme est envahi par l’amour de Dieu, qui devient l’unique guide, l’unique moteur de son existence.
Cette situation d’élévation vers Dieu et d’abandon à sa volonté, exprimée dans l’image du fil, est utilisée par Catherine pour exprimer l’action de la lumière divine sur les âmes du purgatoire, lumière qui les purifie et les soulève vers les splendeurs des rayons brillants de Dieu.
Par leur expérience d’union à Dieu, les saints acquièrent une connaissance si profonde des mystères divins, dans laquelle amour et connaissance se mêlent étroitement, qu’ils aident les théologiens dans leur étude, dans leur intelligence et compréhension de la foi, dans leur intelligence des mystères de la foi, dans l’approfondissement réel des mystères, comme par exemple la question du purgatoire.
Aujourd’hui, certains théologiens sont d’avis que le feu qui brûle et en même temps qui sauve est le Christ lui-même, le Juge et le Sauveur. La rencontre avec lui est l’acte décisif du Jugement. Face à son regard, tout mensonge fond. C’est la rencontre avec Lui qui, en nous brûlant, nous transforme et nous libère pour que nous devenions véritablement nous-mêmes. Ce qui est construit durant la vie peut alors se révéler paille sèche, vantardise vide et s’écrouler. Mais le salut est dans la souffrance de cette rencontre, dans laquelle l’impur et le malsain de notre être deviennent évidents. Son regard, le contact avec son cœur, nous guérit par une transformation certainement douloureuse « comme à travers le feu ».
Notre mode de vie n’est pas sans importance, mais nos saletés, nos péchés, ne nous souillent pas éternellement, si du moins nous sommes restés attachés au Christ, à la vérité et à l’amour. En fin de compte, cette saleté a déjà été brûlée dans la Passion du Christ. Au moment du Jugement, quand nous nous présentons devant le Seigneur, nous expérimentons et accueillons cette primauté de l’amour sur tout le mal présent dans le monde et en nous. La souffrance de l’amour devient notre salut et notre joie.
Il est clair que nous ne pouvons pas mesurer la durée de cette transformation avec des chronomètres. Le temps de transformation de cette rencontre échappe au chronométrage terrestre : c’est le temps du cœur, le temps du passage à la communion avec Dieu dans le Corps du Christ.
Maintenant, nous en arrivons au sens et à l’importance de votre pèlerinage du Ciel, de la prière que nous faisons à Notre Dame Libératrice des âmes du purgatoire.
Déjà dans le judaïsme ancien, on considérait qu’on pouvait venir en aide aux défunts dans leur condition intermédiaire par la prière. Il suffit de penser au livre des Maccabées dans la Bible. La prière, les bonnes œuvres et l’aumône aux pauvres pour le salut des âmes des défunts ont été adoptés très naturellement et font partie de la tradition de toute l’Église.
Par l’Eucharistie, la prière et l’aumône on peut apporter « rafraichissement et fraîcheur » aux âmes des défunts. Que l’amour puisse rejoindre l’au-delà, qu’il soit possible de donner et recevoir réciproquement, que nous restions liés les uns aux autres par les liens de l’affection au-delà des confins de la mort, ceci est une conviction fondamentale de la chrétienté à travers les siècles et demeure encore aujourd’hui une expérience réconfortante.
Qui n’éprouverait pas le besoin d’apporter à nos proches déjà partis pour l’au-delà un signe de bonté, de gratitude et aussi de demande de pardon ?
Nous pourrions nous demander : si le purgatoire consiste simplement à être purifié par le feu dans la rencontre avec le Seigneur, Juge et Sauveur, comment une tierce personne peut-elle alors intervenir par la prière et le sacrifice ? Quand nous posons une telle question, nous devrions nous rendre compte que personne n’est enfermé sur soi, n’est indépendant des autres. Personne ne vit seul. Personne ne pèche seul. Personne n’est sauvé seul. Continuellement la vie des autres intervient dans la mienne : dans ce que je pense, je dis, je fais, comment j’agis. Et vice-versa, ma vie intervient dans celle des autres : dans le mal comme dans le bien.
Ainsi intercéder pour l’autre ne lui est pas étranger, extérieur, même pas après la mort. Dans l’imbrication des êtres, mon remerciement, ma prière pour lui peut contribuer à une petite étape de sa purification. Il n’y a pas besoin de convertir le temps terrestre dans le temps de Dieu : dans la communion des âmes le simple temps terrestre est dépassé. Il n’est jamais trop tard pour toucher le cœur de l’autre et ce n’est jamais inutile.
C’est pour cela que l’on dit que Notre Dame Libératrice touche les cœurs même après la mort.
Ceci est un élément important dans le concept chrétien de l’espérance. Notre espérance est toujours essentiellement espérance aussi pour les autres ; seulement ainsi, elle est vraiment espérance pour moi. Comme chrétiens nous ne devrions jamais nous demander uniquement : comment puis-je me sauver moi-même ? Nous devrions nous dire aussi : que puis-je faire pour que les autres soient sauvés et que brille aussi pour eux l’étoile de l’espérance ? J’aurai alors fait le maximum aussi pour mon salut personnel.
J’ai commencé en citant une catéchèse du pape Benoît XVI et je voudrais terminer en disant que le pape Benoît XVI a écrit les pages les plus fortes sur le purgatoire dans l’encyclique « Spe salvi ». C’est l’encyclique la plus personnelle des trois qu’il a publiées, la seule qu’il ait écrite de sa main, de la première ligne à la dernière. Si vous voulez en savoir plus, je vous conseillerais de la lire, surtout les paragraphes 44 à 48.